Il est courant d’observer la mise en place de restrictions d’accès au public et l’interdiction de certaines pratiques dans les espaces naturels sensibles. Une situation qui devient hors de contrôle. Le gestionnaire ne sait plus comment éviter les dégâts ou de l’insécurité. Il décide alors d’une solution plus radicale : fermer.

C’est par exemple le cas sur la partie italienne de l’itinéraire du Tour du Mont-Blanc où les bivouacs sont désormais interdits en dessous de 2500m d’altitude, sachant que le sentier ne passe pas la barre des 2500 mètres d’altitude. Une façon indirecte d’interdire la pratique itinérante sur cette portion du parcours.

Cependant, cette restriction d’accès peut avoir un effet contre-productif dans la volonté des visiteurs à protéger ces endroits, et à adopter des comportements éco-responsables.

Des nombreuses études se sont intéressées aux facteurs de décisions qui amène les visiteurs à adopter des comportements responsables, et les solutions avancées sont complexes et bien plus profondes qu’une restriction d’accès ou la menace de payer une amende.

Comment transformer les visiteurs en visiteurs éco-responsables ?

On pense que c’est simple, qu’il suffit d’interdire, de menacer, de contrôler, mais non, il y a tout un processus interne complexe dans l’adoption d’un comportement qu’il faut bien comprendre afin d’adapter vos actions, en tant qu’organisme de gestion de destination, pour accompagner vos visiteurs à adopter des comportements plus éco-responsables.

Je vais tenter de vous expliquer et de simplifier ces mécanismes internes qui définissent nos comportements pour vous donner des clés dans les solutions à adopter sur les territoires afin de rendre les visiteurs plus éco-responsables.

Lorsque nous agissons, (nous en tant qu’individu au sens large, mais cela s’applique évidemment aux visiteurs de votre territoire), nous sommes en réalité passés par plusieurs étapes pour choisir d’agir d’une manière ou d’une autre.

En résumé, nous passons par trois principales étapes (Ernst & Paulus, 2005) :

  • L’évaluation : L’évaluation et la formation des préférences parmi les options possibles (selon des facteurs cognitifs et affectifs)
  • Sélection de l’exécution : La sélection et l’exécution de l’action permet de mettre en œuvre l’une des possibilités envisagées à l’étape précédente
  • L’expérience: On attribue une valeur à l’action et on en retire des enseignements utiles pour l’adaptation comportementale

Mise en situation : Je suis sur un port de plaisance, j’ai fini ma cigarette, ou est-ce que je peux la jeter ? Je regarde autour de moi, il n’y a pas de cendrier. Je regarde au sol, plusieurs mégots sont jetés, j’écrase le mien avec mon pied, je pars. Je ne pense pas avoir mal agis, après tout le sol en est jonché, mon geste n’a pas une forte conséquence.

L’ensemble de ce processus de prise de décision est influencé par plusieurs choses :

Est-ce que j’ai la connaissance du comportement éco-responsable à adopter ? Quels sont les difficultés potentielles à exécuter ce comportement ? Qu’est-ce que cela me coûte ?

A ce stade, en tant qu’organisme de gestion de destination ou que gestionnaire d’espace naturel, il faut déjà savoir si vos visiteurs disposent de toutes les connaissances pour adopter le comportement souhaité.

  • Le sentier à emprunter est-il clairement indiqué pour éviter que le visiteur n’empiète sur des zones protégées ?
  • Les poubelles sont-elles visibles et bien indiquées ?

Cette première étape aidera grandement les visiteurs à adopter un comportement éco-responsable puisqu’on valide bien le fait qu’il dispose de toutes les informations/connaissances pour adopter un comportement éco-responsable.

Attention, c’est à partir de là que cela se complique.

En tant qu’êtres humains, nous avons besoin de lier connaissances et émotions, car nos décisions dépendent souvent davantage de nos croyances et de nos sentiments.

Par exemple, nous savons que prendre l’avion représente une très forte émission de CO2. Pourtant si on vous offre un billet d’avion pour Tahiti, vous l’accepterez sûrement volontiers. Au même titre que nous connaissons les enjeux sociaux et environnementaux pour produire nos smartphones, mais que nous en avons tous un, que nous nous empressons de changer pour un modèle plus performant.

Mais pourquoi ? Car l’émotion positive ressentie outrepasse les connaissances du côté néfaste de nos actions.

Alors comment guider les visiteurs à choisir un comportement éco-responsable en sachant que l’humain prends des décisions irrationnelles plus que rationnelles ?

L’attachement au lieu

Plusieurs chercheurs en sciences sociales ont réfléchi sur la question et des travaux apportent deux réponses intéressantes et très faciles à mettre en œuvre :

L’attachement au lieu et la fidélité à la destination. Je vais vous présenter ces théories ainsi que leur application possible dans l’accueil des visiteurs sur vos territoires.

  • L’attachement au lieu: Dans la littérature, il est considéré comme significatif pour la préservation de l’environnement. Si les humains sont émotionnellement connectés à leur environnement, il est plus probable qu’ils chercheront à le protéger et même à empêcher les autres de le dégrader (Cheng et al., 2015). Kastenholz, Eusébio et Carneiro (2018) ont travaillé sur ce sujet et les résultats de leur étude démontrent que les visiteurs présentant un niveau plus élevé de comportements éco-responsables étaient également ceux ayant un niveau plus élevé de satisfaction et d’attachement au lieu.

Ce qui signifie qu’au-delà de la connaissance que vous livrez aux visiteurs, vous pouvez également jouer sur leur attachement au lieu, pour les inciter à vouloir le préserver.

Si l’on pousse la réflexion un peu plus loin, on peut se demander, comment faire vivre aux visiteurs une expérience qui les connectent à l’environnement, pour favoriser de l’attachement à la destination, plutôt qu’une expérience de consommation du territoire ?

Il existe des exemples d’expériences immersives desquelles il faudrait s’inspirer pour créer de la connexion et de l’attachement.

Un itinéraire de randonnée de découverte des Aiguilles d’Arves a été pensé pour vous inviter à écouter les habitants du territoire en vous racontant leurs histoires.

« Le sentier vous invite à la rencontre avec des gens du pays, qu’ils soient bergers, agriculteurs, alpinistes, guides ou encore conteurs, ils vous racontent leurs récits d’hier et d’aujourd’hui » nous dit le Site Internet de Maurienne Tourisme.

« Au cœur des ruines de chalets d’alpage, des bancs sonores et objets symboles vous content cette terre de légendes et d’oralité, avec beaucoup de sensibilité. »

Une proposition d’expérience immersive et authentique qui engage les visiteurs à prendre conscience de la vie du lieu, de ces habitants et les connecte ainsi plus personnellement au territoire.

La fidélité au lieu

  • La fidélité au lieu : Plus les visites sont répétées, plus l’attachement à la destination est renforcé, plus le visiteur développe un besoin de le préserver (Cardinale et al., 2016).

Fidéliser ses clients est un adage largement connu, mais dont il ne faut pas sous-estimer l’importance dans la gestion du tourisme sur son territoire et négliger sa mise en œuvre. Il agit comme un facteur de renforcement d’attachement au lieu, si vous travaillez sur la fidélisation, vous travaillerez certainement sur l’attachement des visiteurs pour leur donner envie de revenir. Ces deux facteurs peuvent être liés.

Ainsi il faut investir suffisamment de temps, de ressources, et de moyens dans la fidélisation des visiteurs. Les stratégies de fidélisation, cependant, ne doivent pas simplement encourager les visiteurs à revenir pour « consommer » davantage le territoire. Elles doivent avant tout viser à créer un attachement émotionnel profond entre le visiteur et la destination.