Le 6 mai dernier, j’étais invité à l’Assemblée Nationale pour participer à une audition de quelques députés qui rédigeaient un rapport d’information (c’est important !) sur l’avenir du tourisme français. Je n’avais jamais été à l’AN alors j’ai fait le déplacement à Paris, par curiosité, en ma qualité de président du réseau Acteurs du Tourisme Durable. J’y étais avec d’autres acteurs investis comme Caroline Mignon et Gilles Béville de l’ATES et Lionel Habasque, l’un des dirigeants du groupe Voyageurs du Monde, membre fondateur de la certification ATR. L’objectif de cet échange d’environ 2 heures était le tourisme durable afin de permettre aux députés de bien comprendre les enjeux pour la France. Le rapport a été publié et enregistré le 24 juillet dernier à l’AN. Vous pouvez le lire ici. Voici mon regard personnel suite à la lecture sur l’avenir du tourisme français…

Mais, au fait, à quoi sert ce rapport ? A quoi sert l’Assemblée Nationale?

Bon, l’une des questions que l’on pourrait se poser, avant même de lire le rapport, c’est… « mais à quoi ça sert pour les députés de faire ce genre de rapport ? ». « Quels sont les publics à informer ? » « Est-ce vraiment efficace au fond toute cette agitation ? ».

Sur le site de l’AN, voilà ce que cela dit : L’Assemblée nationale est l’institution française qui forme, avec le Sénat, le Parlement de la Cinquième République. Son rôle est de débattre, de proposer, d’amender et de voter les lois, et de contrôler l’action du Gouvernement. Chaque année, ce sont ainsi en moyenne une centaine de lois qui sont adoptées, plus de 1400 heures de débats qui ont lieu dans l’hémicycle, plus de 33 000 questions qui sont posées au Gouvernement par écrit ou par oral, plus de 450 rapports qui sont adoptés par les commissions sur les sujets les plus divers.

De son côté, Mark Watkins (Coach Omnium) pense clairement que c’est comme pisser dans un violon. De mon côté, je suis plus nuancé car, au-delà de l’intérêt politique de tout ça (à mesurer bien sûr, je ne suis pas fou), je pense que ça permet à nous, petits citoyens, de prendre la parole, de partager, d’échanger, de débattre et de construire les alternatives. Ce papier en est un premier exemple… Allez go, analysons ce rapport de 83 pages.

Compilation de verbatims de tout bord

Forcément, quand un rapport émane d’une série d’entretiens réalisés avec des acteurs bien différents et que l’on prend tout… c’est tout un art d’en faire une prose agréable à lire, avec un fil conducteur… Et bien, c’est la première sensation ressentie à la première lecture. Ca s’enchaîne mais ça part un peu dans tous les sens. On ne comprend pas vraiment la position assumée de la France pour son développement touristique. Et on voit surtout des regards différents sur l’avenir du tourisme français avec beaucoup trop de yakafokon… En quelques lignes, on passe d’une position à une autre sans transition. Mais où est le fil conducteur ? Où est la ligne directrice de tout ce travail ? Où est l’ambition française en matière de tourisme, ce point à l’horizon que nous souhaitons atteindre tous ensemble ?

Commençons par assumer que nous ne sommes pas numéro 1 !

Déjà, ce serait un acte fort ! Assumons que nous ne sommes pas les numéros 1, clairement ! A quoi ça sert de toujours sortir ce classement alors qu’il ne veut strictement rien dire ! Si nous nous considérons vraiment comme des leaders dans le monde, comme je l’ai déjà dit ici, assumons ce leadership en donnant la direction que le tourisme devra prendre dans les années à venir. Montrons la voie du tourisme de demain. Nous savons bien que le secteur doit absolument évoluer dans les 10 à 15 ans qui viennent avec les enjeux autour du climat, de la mobilité, de l’overtourism, etc. Si la France veut montrer son leadership (au-delà des chiffres), ce sera bien par des actes et des positions fortes sur certains sujets et non pas sur des classements bidonnés qui ne reflètent plus du tout la réalité du tourisme mondial.

Faire plaisir à tout le monde, ce n’est pas une stratégie !

Et quand on lit l’article, on a vraiment le désagréable sentiment que l’objectif du document n’est pas du tout de donner des recommandations et un cap stratégique à la destination France mais plutôt de faire un peu plaisir à toutes les parties prenantes du secteur (pour qu’ils comprennent bien que l’on a bien entendu leurs doléances) en particulier les gens auditionnés (dont moi). Mais faire plaisir à tout le monde, non, ça ne fera jamais une stratégie ! Une stratégie, c’est une position ferme, assumée, critiquée forcément par certains mais qui montre un vrai regard innovant (voir disruptif) pour répondre aux enjeux et aux attentes de demain ! Et là, je n’ai pas lu ça, pas du tout.

 

C’est quoi le cap, capitaine ? (100 millions de touristes, ce n’est pas un cap)

Alors, oui, on retrouve toujours et encore cet objectif des 100 millions de touristes internationaux à l’horizon 2020 (elle date de quand cette ambition ?). Comme je l’ai souvent dit, en 2019, on ne peut pas avoir une ambition uniquement sur des chiffres de croissance. C’est une vision complètement has been du développement touristique. Il faut intégrer cela à un projet plus large avec des tactiques, des moyens, des actions pilotes, des expérimentations qui permettent de réaliser l’ambition que l’on se donne. Le diagnostic des maux français du tourisme, tout le monde le connaît ! Il n’évolue pas beaucoup depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, le gouvernement doit montrer le cap, son cap pour le développement touristique des 20 ou 30 prochaines années. Personnellement, j’ai déjà donné ma vision des choses et je prône pour une remise à plat de la notion de performance touristique en intégrant les externalités sociales et environnementales dans la performance économique traditionnelle. Nous devons innover socialement sur ce sujet. Et, selon moi, quand je parle de tourisme durable, je parle d’un projet national où les enjeux de développement durable sont le socle stratégique de l’avenir du tourisme français et cela se traduit par des actes forts. Or, je n’ai pas été entendu suite à cette audition en lisant le rapport…

Une croissance soutenable pour un tourisme en quête de sens, vraiment ?

Il est présenté à de nombreuses reprises dans le rapport les notions de croissance soutenable et du tourisme en quête de sens… S’il vous plait, peut-on arrêter désormais le marketing bullshit pour aller vers un marketing de la sincérité et de l’engagement ET des actes forts ! C’est bien joli de vouloir écrire du storytelling autour des belles valeurs positives du capitalisme (comme le disait encore dernièrement Bruno Le Maire). Mais que ça sonne faux quand on creuse un peu les mots croissance soutenable et tourisme de sens… Vous n’avez pas le droit d’écrire que vous prônez un tourisme durable pour assumer sans ridicule qu’il faut développer les aéroports régionaux quelques lignes plus bas !!! L’ambition, c’est aussi de montrer autre chose, d’avoir la volonté de changer réellement de paradigme (dans la mobilité touristique, dans l’observation des données, dans le financement des projets, dans l’hybridation des modèles, dans l’évolution du rôle d’Atout France, etc.). Or, pour cela, il ne faudra pas faire plaisir à tout le monde ! Il faudra assumer une position de leader avec des valeurs à défendre ! La différence est peut-être là en fait. Vous faites de la politique. Nous, professionnels, nous faisons du tourisme. Ce qui nous intéresse, c’est le client et les conditions qui permettent à ce client d’être bien et de vivre son rêve.

Mon regard sur l’avenir du tourisme français…

Au fond, suis-je réellement surpris de ce rapport… Non malheureusement. Je serais plutôt surpris le jour où je lirais une véritable ambition franche, nouvelle, forte et sincère en matière de tourisme. Que ce soit sur une base (essentielle à mes yeux) autour des enjeux du développement durable ou plutôt une ambition autour d’une croissance énorme, techno ou autre avec un plan Marshall pour le développement du tourisme du futur, je m’en fous mais juste un rapport moins mou, moins consensuel avec de vrais risques assumés ! En continuant à vouloir faire dans le mou comme ça, on ne fera pas avancer le tourisme français, on subira simplement les évolutions sociétales et on suivra les prises de risques des autres pays concurrents en essayant de rattraper notre retard avec des bouts de sparadraps. Et ça, ce n’est pas vraiment une position de leadership à vrai dire… Pour reprendre le titre de ce papier, non, on ne s’en sortira avec nos vieilles recettes, l’innovation sera nécessaire pour réinventer l’avenir du tourisme français. Et je ne parle pas forcément d’innovation technologique (sic Zapata) mais plutôt de prises de risque dans l’innovation sociale pour inventer le modèle français du tourisme du futur qui pourrait alors être présenté comme exemple à suivre par de nombreux autres pays et par l’UNWTO…

PS : Je vous invite aussi à lire les critiques d’Eric Adamkiewicz sur ce papier intitulé joliment Le génie français ou comment la pseudo « première destination touristique mondiale » ne risque pas le « surtourisme »