Série Vision d’anthropologue

Nous poursuivons notre série “Vision d’anthropologue” avec un article de l’anthropologue Aude Créquy pour entamer une réflexion sur la définition du tourisme durable selon la définition de l’Organisation Mondiale du Tourisme.

L’Organisation Mondiale du Tourisme définit le tourisme durable ainsi : « Un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ». Par ailleurs, l’OMT entend « respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, conserver leur patrimoine culturel bâti et vivant, ainsi que leurs valeurs traditionnelles, et contribuer à la tolérance et à la compréhension interculturelles ».

Une définition trop humaniste ?

La définition est belle mais pour qui s’est un peu penché sur le volet socioculturel, il est facile de se rendre compte que, dans bien des cas, cette définition est souvent plus humaniste qu’effective. En effet, comment concilier les besoins des visiteurs, des professionnels et des communautés d’accueil ? Leurs objectifs et leurs envies sont passablement différents. Il n’est pas rare, par exemple, que les visiteurs soient à la recherche de traditions au cours de leur voyage tandis que les communautés d’accueil ne souhaitent qu’une chose, accéder à la modernité. Ainsi naissent certaines incompréhensions interculturelles quand on visite un autre pays. Le tourisme engendre alors des oppositions, des contradictions ou des conflits entre tel ou tel choix économique, écologique, social et culturel. Cela dévoile la fragilité du concept de tourisme durable lorsqu’il est confronté aux réalités « du terrain ».

Clarifions les besoins de chacun

Reprenons les besoins de chacun. Quels sont les besoins des professionnels du tourisme durable ? Parfois, la « durabilité » de leur tourisme n’est qu’une question d’image, d’autres fois, elle est motivée par une réelle envie d’éthique mais pour les uns comme pour les autres, les besoins premiers tournent autour de préoccupations économiques. Ils doivent faire vivre l’entreprise, créer des séjours touristiques attractifs, rémunérer leurs employés, entre autres. La manière d’arriver à leurs fins sera différente, plus ou moins éthique, selon les professionnels.

Pour une vision à long terme ?

Si ces entreprises adoptent une vision à long terme, cela permettrait de s’inscrire durablement sur un territoire et d’éviter les emplois précaires, tandis qu’une connaissance du territoire et de sa population ouvrirait la porte à une collaboration durable dans le respect des souhaits locaux. Par ailleurs, si les professionnels s’inscrivent dans une optique de tourisme durable, le premier objectif à atteindre est de faire de leur clientèle, une clientèle durable. Pas de tourisme durable sans touriste durable et il est de leur responsabilité que leurs touristes respectent et veuillent respecter les principes du tourisme durable. Et le visiteur n’est pas toujours un bon élève. La tâche peut se révéler ardue.

Besoin des visiteurs ?

Quels sont les besoins des visiteurs ? L’histoire du tourisme nous l’enseigne. Les premiers lieux de villégiature sont la mer et la montagne. Les premiers touristes sont des aristocrates oisifs. Ensuite, c’est la démocratisation du tourisme. Aujourd’hui, le tourisme est pratiqué par des travailleurs qui, grâce à leur salaire et aux congés payés, peuvent prendre des vacances. Les vacances sont devenues un droit et elles sous-tendent des comportements de relaxation totale du corps et de l’esprit. En effet, le temps des vacances s’oppose au temps de travail. Il n’est donc pas question, pour un vacancier, de produire une quelconque forme de travail. Le besoin de repos est réel, le besoin de sécurité aussi. Se sentir bien dans un lieu qui permet d’oublier le quotidien est important.

Exigence du tourisme durable atteignable ?

Aucune critique ici, c’est un fait maintes fois observé mais un fait qu’il va falloir modifier un peu si l’on veut répondre aux exigences du tourisme durable. Le repos du corps et de l’esprit est toujours possible en vacances, par contre, il faudrait permettre une réflexion un peu plus poussée sur sa propre pratique du voyage, sur les raisons d’une destination choisie et une documentation effective sur les réalités du pays visité et les « impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs » que l’on provoque par notre simple présence. Cela aiderait grandement le tourisme durable à être plus réaliste qu’utopiste.

Besoins des communautés d’accueil ?

Enfin, quels sont les besoins des communautés d’accueil ? Dans les régions en difficulté économique, il s’agit souvent de vivre ou même de survivre. Ces communautés ont besoin d’un revenu mais aussi et surtout de stabilité et d’améliorations sociales. Par contre, il arrive aussi que ces communautés n’ont aucun besoin. Aucun besoin d’une présence touristique qui viendrait perturber leur économie agricole par exemple, aucun besoin qu’un hôtel s’installe et privatise une plage qui ne laisse guère d’autre choix aux pêcheurs que de
partir ailleurs. Vivre pauvrement ou chichement n’est pas toujours mal vivre alors autant réfléchir à deux fois avant de venir perturber une communauté qui ne demande rien. Le tourisme n’est pas la réponse à tous les maux.

L’argent : le nœud du problème

En somme, le développement du tourisme durable est freiné par une problématique qui se résume en un mot : argent. C’est le nœud du problème. Les visiteurs veulent payer moins, les entreprises veulent gagner plus et les communautés d’accueil veulent une part des retombées économiques. Quelle équation répondra à cette demande ? De fait, avant même de répondre à des besoins, il faudrait, dans un premier temps, que ces besoins soient communs. Tout l’enjeu du tourisme durable est là.

Un pari pas encore gagné

Pour ce faire, il est important de développer le sens de l’éthique pour les professionnels du tourisme et pour les touristes. Le pari n’est pas encore gagné. Ensuite, il apparaît qu’un tourisme devient durable s’il favorise la concertation entre chaque acteur afin de fixer des objectifs communs. Les bonnes expériences existent. Nous ne pouvons qu’encourager tous ces tourismes alternatifs et toutes les initiatives prises par des populations locales se lançant dans un projet touristique solidaire, équitable ou responsable. Un tourisme durable se repère aux valeurs qu’il défend, aux engagements qu’il prend, à la curiosité culturelle et intellectuelle qu’il inspire. Le tourisme durable peut se développer dans tous les secteurs du tourisme, que ce soit un tourisme balnéaire ou un tourisme d’aventure mais il deviendra durable à partir du moment où chaque acteur adhère à ses principes. L’interculturalité pourra alors se partager et se vivre plus librement.

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Par Aude Créquy, anthropologue

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