En décembre dernier, je repartais des dernières rencontres annuelles du tourisme à Saint Jean de Monts où j’avais eu l’honneur de participer. Je discutais alors avec un jeune de 18 ans dans le Blablacar qui me ramenait à Nantes. Nous avons très vite parlé de mon métier d’accompagner les élus locaux dans leur politique de développement du tourisme et des loisirs. Il m’a alors parlé d’un problème à Saint Jean de Monts, celui de la pratique du Skateboard dans la commune. Devant l’Office de Tourisme, face à l’Océan, les jeunes viennent parfois pratiqués leur sport favori. Or, ils gênent. Ils sont chassés parce qu’ils font trop de bruit. Il y a quelques années, un skatepark avait été construit. Or, il a vieilli et les attentes ne sont plus les mêmes. Et l’écoute des décideurs locaux n’est pas vraiment au rendez-vous…

Je me suis alors rappelé de cette vidéo de Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle. Il expliquait justement l’importance de co-construire les projets en particulier avec les jeunes de la commune, d’une part pour les responsabiliser face à des dépenses publiques mais aussi à les impliquer dans les choix de politique locale. Il avait ainsi fait de ce projet de Skatepark chez lui un vrai moment de co-construction avec les jeunes.

Quelques semaines plus tard, à un mois des élections municipales, c’est le bon moment pour faire le point sur cette pratique du skateboard et de la rattacher à notre sujet du tourisme et de l’attractivité. Tour d’horizon de la question skate et tourisme.

Aujourd’hui, avec plus de 20 millions de skateurs aujourd’hui et une entrée prochaine aux JO, ce loisir devenu sport s’est largement démocratisé et institutionnalisé depuis sa création dans les années 50. Mais alors, qu’est-ce qui se joue derrière cette pratique et ces lieux que sont les skateparks ? Comment le skate s’est-il aussi immiscé dans l’univers du tourisme ?

D’une culture déviante à son institutionnalisation

Avant tout, petit retour sur l’histoire du skate ! Le skate, en tant qu’objet et pratique, provient du surf et de la culture californienne des années 50. Il est devenu de plus en plus populaire à partir des années 60 notamment aux Etats-Unis, et s’est accompagné d’une culture vestimentaire propre. C’est dans les années 80 qu’il se propage en Europe, en même temps qu’il se professionnalise. Pour autant, le monde du skate reste marqué par une culture, et même un lifestyle particulier. A cette époque, le skate était régulièrement associé à une culture déviante et contestataire. Avec le retour en force du fun et du ludique dans le monde du sport, le skate s’est institutionnalisé progressivement autour de ligues, d’associations, d’évènements et de compétitions variés.

De la rue au Skatepark

Et en matière de lieu, cette institutionnalisation du skate n’a pas été sans conséquence. Simple moyen de déplacement à ses origines, la pratique du skateboard est rapidement devenue un sport qui a pris la rue comme terrain d’expression. Sans installation particulière, le skate se pratiquait dans l’espace urbain. Il s’est approprié de manière spontanée le mobilier urbain présent, comme support de sa pratique. En se développant, des installations dédiées à sa pratique fleurissent dans les villes à travers les skateparks.

En rentrant dans les mœurs urbaines, les municipalités ont construit de plus en plus de skateparks et des lieux dédiés à la glisse. L’objectif est double pour ces villes : satisfaire cette population de riders, mais surtout contrôler et chasser les skateurs de la rue, et surtout des centres-villes. Voilà encore un bel exemple de la ville sécuritaire ! Encore empreints de valeurs déviantes et contestataires, les skateurs ne sont pas les bienvenus dans l’espace urbain alors même que la base de la pratique réside dans l’utilisation de cet espace…

Certains puristes considèrent alors les skateparks comme une restriction de leur liberté de déplacement et d’expression. Mise à part ces exceptions, la plupart des skateurs s’est approprié ces lieux. Ces lieux sont devenus les lieux privilégiés pour l’apprentissage des débutants, des lieux de perfectionnement pour les plus expérimentés, voire de professionnalisation. Dans tous les cas, les skateparks sont maintenant les lieux de rencontre privilégiés par les adeptes de la glisse urbaine. De pair avec la banalisation de la pratique, ce sont aussi des lieux qui sont devenus des figures ordinaires de l’urbanité ludique.

Les skateparks, des lieux d’altérité ?

Le skate étant principalement pratiqué par des jeunes, les skateparks sont des lieux dédiés à ces populations. Ce sont alors des lieux de rencontres entre différents groupes de jeunes, par exemple des locaux et des visiteurs. Ce point est donc intéressant pour des collectivités voulant développer une offre de loisir ou touristique pour cette population particulière. Mais avant de décrire ces espaces comme des lieux d’altérités, il est important de souligner certaines nuances sur la mixité réelle de ces lieux.

Un article « Skateparks : de nouveaux parcs de jeu pour enfants » met en avant que ces espaces abritent une cohabitation entre de deux types de pratique du skate, l’une ludique et l’autre sportive. Et ces deux pratiques ont en réalité deux profils de pratiquants. Pour la première, c’est un public plus jeune (beaucoup d’enfants de moins de 12 ans) alors que la seconde sera constituée d’adolescents et de jeunes adultes. Les relations entre ces deux groupes oscillent entre conflits de cohabitation et processus d’apprentissage intergénérationnel, montrant une forme de mixité d’âge.

Concernant la mixité sociale, le prisme est plus fermé et concerne principalement les classes moyennes et supérieures. Cependant, des signaux montrent une démocratisation de la pratique du skate, et surtout son ouverture aux publics féminins. Et oui, il va sans dire que cette pratique et ces espaces ont été pendant longtemps dominés par les hommes. Mais l’organisation de « girls sessions » dans certains skateparks va bien dans le sens de cette démocratisation !

Le tourisme urbain sportif ou la prise en compte du sportif dans l’aménagement des villes

Comme nous avons pu le voir, une dynamique de ludification des villes et de leurs espaces publiques s’est produite. Cette dynamique est pleinement liée à l’augmentation et à la diversification du tourisme urbain sportif. Longtemps considéré comme antinomique, sport et ville ont vu leur rapport changé complètement depuis quelques décennies. Mais alors, qu’est-ce que le tourisme urbain sportif ? Selon Christian Dorville et Claude Sobry, ce terme recouvre deux acceptions :

« L’utilisation d’équipements sportifs de grandes dimensions dédiés au sport-spectacle (stades des grands championnats ou coupes de football, pour les Jeux Olympiques, etc.) et l’utilisation à des fins ludo-sportives d’espaces urbains non sportifs (glisses urbaines comme le roller ou le cyclisme, marathons, etc.) »

La deuxième acception du tourisme urbain sportif a alors conduit à une mise en spectacle de l’espace urbain. La ville devient spectacle pour les pratiquants, mais les pratiquants deviennent aussi spectacle pour le passant ou le visiteur. Ce tourisme décalé prend de plus en plus forme un peu de partout dans le monde. Mais, en ayant misé sur l’aménagement sécuritaire, les politiques ont longtemps tout fait pour éviter ces pratiques spontanées, considérées comme déviantes. Alors, comment faire pour développer cette forme de loisir pour ses habitants et cette forme de tourisme pour les visiteurs ?

Le premier élément est avant tout de penser l’urbanisme et l’aménagement des villes avec ces sportifs qui, autrefois, dérangeaient. Demain la ville a réalisé une vidéo « Et si les skateurs étaient les urbanistes de demain » qui montre la nécessité de repenser la manière dont on fabrique les villes et dont on les pratique. Initié en Scandinavie, avec l’exemple phare de Malmö, le skate-urbanisme est un moyen de faire réfléchir les concepteurs des villes sur les détournements des espaces publics, mais surtout les usages d’un espace public réellement ouvert.

Skate et tourisme : l’exemple de Bordeaux

En France, si une ville semble vouloir comprendre certains enjeux de ce skate-urbanisme, c’est bien Bordeaux. Certes, l’initiative n’est pas venue de la collectivité, mais d’un skateur professionnel bordelais, Léo Valls. Le skate était interdit pendant de nombreuses années sur les principales places de Bordeaux dû aux nuisances que cela pouvait créer. Cela mettait alors les skateurs dans une situation d’illégalité. Léo Valls, le collectif Zen et l’association Board’o ont entamé un dialogue avec la municipalité pour essayer de trouver des compromis.

Les expérimentations Skate(z) zen ont été lancées afin de créer un dialogue entre riverains et skateurs et encadrer la pratique sur des lieux et horaires spécifiques. Un véritable travail de médiation, de transmission, de pédagogie et d’éducation a été mené. Et les résultats sont visibles ! La ville a réalisé un schéma directeur général afin d’intégrer le skate à l’urbanisme s’accompagnant d’un plan d’action à court terme (2019-2022) et à moyen terme (2023-2016). Selon les mots de Léo Valls :

« La municipalité et les politiques ont pris conscience que le skateboard n’est pas un jeu d’enfant ! Donc on ne parque pas les skateurs dans un skatepark parce que c’est là-bas qu’il faut aller comme dans un bac à sable… »

 

Bordeaux n’est pas une exception française ! De plus en plus de collectivités misent sur le skate ou les skateparks comme un élément attracteur pour la promotion de leur territoire. On peut citer l’exemple de Lyon, qui a intégré différents espaces dédiés au skate dans la rénovation de ces quartiers depuis les années 2000. Cela va du bowl de la Guillotière sur les quai du Rhône, au nouveau skatepark près de Perrache ou au Skatepark indoor de Gerland. Les emplacements de ces espaces sont tous centraux, montrant une certaine volonté de réintégrer le skate dans les centres-villes. Si ce n’est pas le signe d’un changement de regard sur le skate !

Les Skate trip : une forme renouvelée de tourisme urbain

Ainsi, les offices de tourisme des plus petites villes aux grandes métropoles mettent en avant leurs skateparks ou les lieux publics dédiés à la pratique du skate. Ces offices de tourisme ont bien compris l’enjeu d’attirer les jeunes sur leur territoire. On peut rappeler que selon Atout France, c’est l’un des secteurs qui connait la croissance la plus rapide (avec 300 milions de voyageurs jeunes en 2020). Ce n’est donc pas une clientèle à oublier …

Au-delà de la simple promotion de lieux dédiés à la pratique du skate, certaines destinations ont décidé de miser sur le phénomène du skate trip. Le skate trip c’est le principe d’utiliser le skateboard comme moyen d’exploration et de découverte des villes et autres espaces. Certaines grandes métropoles ont donc décidé de faire appel à des skateurs pro, locaux ou internationaux, pour réaliser des vidéos de promotion de leur ville. Vous pouvez voir différents exemples ici !

Skate et tourisme : à la découverte des territoires

Ce phénomène du skate trip est aussi utilisé par certains skateurs pour faire découvrir des territoires méconnus : la nouvelle mégalopole chinoise Ordos (qui est actuellement presque inhabitée) ou le désert de Namibie. Avec ces deux exemples, on est très loin de l’imaginaire que l’on peut avoir de la pratique du skate ! Mais, en y réfléchissant, le skate trip n’a rien de surprenant… D’une part, c’est comme si le skate renoué avec ses origines. Le skate est de nouveau utilisé comme un moyen de déplacement et d’expression marqué par un fort sentiment de liberté. Et d’autre part le skate s’appuie sur deux éléments très à la mode dans la société et dans le tourisme.

Le skate ne serait-il pas, tout comme le vélo, un moyen d’allier mobilité douce et slow tourisme ? Alors si vous souhaitez sortir un peu des sentiers battus, le skate est un élément sur lequel miser !

Quels enseignements de l’alliance skate et tourisme ?

Alors que faut-il tirer de ce redéveloppement du skate ? Qu’est-ce que ce phénomène peut apprendre à la fois aux urbanistes et aux professionnels du tourisme ?

Déjà, et c’est un point réellement essentiel, développer un tourisme à destination d’une clientèle de jeunes sans prendre en compte et impliquer ce public lui-même est une illusion ! Et pour ce faire, la première étape est de prendre en compte les jeunes dans la construction même des espaces urbains (les urbanistes à vous de jouer !). Pour les professionnels du tourisme, impliquer les jeunes de votre territoire vous permettra, d’une part de mieux connaitre les lieux à valoriser, et d’autre part, de trouver des ambassadeurs. Qui de mieux qu’un jeune pour parler à un autre jeune … ?

Ensuite, les exemples de Bordeaux ou de Lyon, nous montrent à quel point il peut être bénéfique de penser autrement le tourisme urbain. Le tourisme urbain ne doit pas être pensé seulement par une offre patrimoniale ou culturelle, mais bien par un regard bien plus hybride. Le regard porté sur un espace urbain d’un jeune, ne sera pas le même qu’un autre jeune, tout comme il sera différent d’un retraité. Ainsi, la prise en compte de la diversité et de multiplicité des publics concernés par le tourisme urbain, est un des éléments qui fera la force d’une destination !

Dans cet article, nous nous sommes focalisés sur les espaces urbains car ce sont les plus concernés par le skate. Mais, il ne faut pas oublier que le skate peut aussi sortir des espaces urbains et partir à la conquête des routes et chemins de campagne et de montagne ! Ce passage du film La Vie rêvée de Walter Mitty, n’est-il pas un magnifique moyen de valoriser les paysages Islandais ?

Dans un prochain article, nous reviendrons plus largement sur l’urbanisation des pratiques vers les territoires plus naturels… En attendant, n’hésitez pas à consulter notre guide gratuit sur le tourisme culturel.