L’année dernière, The Shift Project a publié un rapport « Décarbonons la culture ! » qui vient compléter les nombreux autres dans le cadre du Plan de Transformation de l’Économie Française. Car oui, on parle souvent de décarboner l’industrie, l’agriculture, la mobilité… Mais au final, chaque secteur, chaque acteur doit s’interroger sur cette notion de décarbonation ! Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur l’impact et la décarbonation du tourisme culturel. 

The Shift Project, décarbonons la culture !

The Shift Project et le Plan de Transformation de l’Économie Française, quésaco ?

Bon, avant de s’intéresser concrètement à la décarbonisation du secteur culturel, nous allons voir ce qu’est The Shift Project et son “Plan de Transformation de l’Économie Française”. 

The Shift Project se définit comme un think tank, c’est-à-dire un groupe de réflexion, un laboratoire d’idées qui va produire des études sur des sujets de société. Ces études s’accompagnent de propositions opérationnelles. Il existe une multitude de Think Tank qui travaillent sur des thématiques variées, mais The Shift Project “œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone”.

L’objectif ici est de réaliser des analyses sur des secteurs clés comme la mobilité, la culture, l’industrie  … Pour proposer des solutions chiffrées et actionnables aux politiques et décideurs des milieux économiques. Ces rapports constituent de véritables feuilles de route afin de planifier la transition économique et écologique des territoires. Les acteurs de la destination doivent donc planifier leurs transitions afin d’établir une vision partagée et des objectifs communs  (de la même façon que nous planifions de plus en plus notre stratégie touristique)

Le plan de transformation de l’économie française, c’est donc l’ensemble des rapports publiés visant à “progresser vers une économie libérée de la contrainte carbone”, relatifs à différents secteurs clés de l’économie française.

Plan de transformation de l'économie Française Objectifs du Plan de transformation de l’économie française

Décarboner n’est pas compenser ! 

Lorsque l’on parle de décarbonation, des raccourcis un peu rapides peuvent se faire, notamment celui lié à la compensation carbone, qui insinue une notion d’équilibre :  Financer un projet environnemental afin de compenser les émissions de gaz à effet de serre liées à notre activité (une entreprise peut donc continuer à polluer comme elle l’entend si elle a les moyens de financer quelques arbres au Brésil). 

Alors que dans “décarbonation”, il y a l’idée de réduction des émissions de carbone d’un secteur, d’une industrie ou d’un pays grâce à un ensemble de mesures relatives à l’utilisation d’énergies propres (énergies renouvelables ou nucléaire). En France, c’est la Stratégie Nationale Bas Carbone   qui donne la feuille de route à suivre afin de réduire les gaz à effet de serre.

 

Vivre au temps de la décarbonation du tourisme culturel…

Le secteur culturel est directement soumis aux impacts du changement climatique. Destructions des patrimoines à cause d’événements climatiques, emplois directs et indirects menacés, fragilité énergétique … Sans oublier que la culture émet sa part de gaz à effet de serre notamment à cause de sa dépendance aux énergies fossiles (en particulier sur les transports).

Pourtant, les acteurs du secteur culturel ne se sentent pas toujours concernés par ces enjeux, souvent réservés à l’industrie ou à l’agriculture (0,45% du budget de la culture sont alloués au soutien à la RSE en 2022). Pas même la charte de développement durable des festivals de Mme Bachelot n’arrivera à nous convaincre d’une réelle volonté de transition écologique du secteur culturel. Décarboner la culture n’est pour l’heure, pas une évidence pour tous ! Pourtant, certains secteurs de l’industrie touristique ont déjà fait ce pas de côté et s’organisent afin de repenser leur business model, c’est notamment le cas des stations de montagne

 

Séisme de 2015 au Népal Séisme au Népal: un patrimoine séculaire réduit en poussières 

 

Néanmoins, la décarbonation du tourisme culturel peut commencer par quelques mesures facilement appropriables et efficaces :

Penser mobilité et intermodalité !

Dans un premier temps, les acteurs de la culture, collectivités, OGD ou privés, peuvent se pencher sur la question de la mobilité et de l’intermodalité, c’est-à-dire (re)penser la façon d’accéder au site touristique. Sachant que le transport représente trois quart des émissions de GES dans le secteur du tourisme en France selon l’ADEME, mieux vaut prendre le taureau par les cornes et s’atteler à la réflexion sur les déplacements des touristes et à la façon dont on va faciliter leur venue en transports. Pourquoi ne pas proposer des partenariats avec les organismes de transport pour créer des offres adaptées par exemple ? En réduisant la jauge d’un événement, le rendant ainsi moins attractif envers des clientèles éloignées et favorisant ainsi son ancrage local ? Ou encore en mutualisant les artistes ou expositions avec d’autres partenaires locaux ?

Bilan GES ADEME 2021 Bilan GES du secteur du tourisme, ADEME, 2021

 

Privilégier la qualité à la quantité …

Savoir renoncer à un projet, un équipement, un artiste venant de l’autre bout du monde reste l’une des mesures les plus raisonnables mais aussi la plus difficile à faire accepter auprès de certaines parties prenantes. Pourtant, il est probable que d’autres initiatives existent afin de pallier ce manque ! Favoriser des artistes locaux, collaborer avec des associations de quartier permet encore une fois de donner vie au territoire et de créer des liens entre les habitants … Au final, l’image de la destination sera aussi valorisée. 

 

Quelques bons élèves …

Venise prend à bras le corps la question du surtourisme

Lorsque l’eau menace la cité des Doges…

Venise est une ville riche en patrimoine, pourtant directement menacée par la montée des eaux et la fréquentation excessive de touristes. La ville se structure sur 118 îles liées par des canaux ainsi que plus de 300 ponts. 

Une étude menée par l’ONG Transport & Environment en 2019, nous montre que Venise fait partie des villes portuaires les plus polluées en Europe. En cause, les navires de croisières arrivant dans le centre pour y déverser ses excursionnistes. Le problème, c’est déjà l’impact écologique et social de cette clientèle. Les énormes bateaux de croisières génèrent des vagues, modifient les courants, et menacent les bâtiments et les habitations à cause de l’érosion causée par le sel. La mer met également en danger les monuments et statues, comme les cénotaphes de la Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari.  Les conséquences des croisières sur le patrimoine mettent donc en danger le classement de la ville à l’UNESCO, l’enjeu est ainsi énorme …

En plus de ça, les flux sont plus compliqués à anticiper pour la collectivité, les excursionnistes génèrent moins de retombées économiques qu’un touriste venant sur plusieurs jours (pas de consommation de nuitées ni d’activités), sans oublier les accidents de navires tel que le Costa Concordia en 2012. Venise a donc décidé d’interdire certains gros navires de croisières à une partie de la lagune.

La crise sanitaire a finalement été l’occasion de repenser le tourisme de demain pour Venise, qui relance le projet de taxes et de réservations pour accéder à la ville. Les excursionnistes devront donc payer entre 3 et 10€ dès 2023, et seront invités à réserver leur entrée à Venise grâce à un système d’incitations (réductions sur des prestations par exemple), l’idée étant de pouvoir anticiper et gérer les flux correctement.

Lutter contre la désertification

La ville s’attèle également à la chasse aux boutiques souvenirs et autres commerces dédiés aux tourisme. En effet, le nombre de magasins  vendant des “attrapes touristes” ne représentants ni l’artisanat local, ni la culture de la ville explose. Les commerces pour les habitants se raréfient, et les prix augmentent. Conséquence : Les quartiers se vident, les loyers explosent et l’ADN de la  ville se perd. Les statistiques démographiques illustrent parfaitement ce phénomène de désertification puisqu’en 30 ans, la population est passée de 120 000 à 55 000 personnes. La ville lutte désormais contre ce type de magasin en interdisant tout nouveau commerce vendant de la marchandise low cost ou des souvenirs non artisanaux dans certains quartiers historiques, idem pour les magasins vendant des boissons ou collations.

Pour Venise, il s’agit donc de trouver des compromis. Consciente que beaucoup de Vénitiens dépendent du tourisme, que ce soit dans les zones portuaires, les commerçants, la cité des Doges est également témoin de l’impact du tourisme culturel sur le patrimoine et sur la qualité de vie des populations. Ainsi décarboner le secteur culturel devient nécessaire pour la sauvegarde de son patrimoine. 

Navire de croisière à Venise Miguel MEDINA / AFP 

 

Permettre l’accès au patrimoine sans voiture : l’exemple du Réseau des Grands Sites de France

Autre exemple en France cette fois, le Réseau des Grands Sites de France réfléchit depuis 2010 à des solutions afin de réduire l’usage de la voiture dans les Grands Sites.

Une première initiative (les Escapades Nature sans Voiture) a été déployée en 2015 par le réseau proposant aux visiteurs des expériences sans voiture dans les Grands Sites de France. Ce dispositif a permis d’apporter des premiers éléments d’analyse afin de réfléchir à la question de la place de la voiture au sein des sites. Le design de l’offre devient ainsi central : Comment peut-on développer des produits touristiques basés sur l’écomobilité à destination des visiteurs et des habitants ? Au delà des réflexions autour du développement territorial et de l’intermodalité, le bilan des Grands Sites permet de soulever deux freins majeurs quant à la mise en place d’éco mobilités : Les services proposés pour un public sans voiture est maigre (comme les transports de bagages) et la saisonnalité de l’offre ne permet pas d’offrir des prestations toute l’année.

D’autres pistes d’actions ont été évoquées afin de favoriser les séjours sans voiture, notamment l’accès à l’information (une carte représentant l’étendue de l’offre, les distances, les services proposés…). Passer des vacances sans voiture doit paraître accessible ! Les destinations doivent concevoir leurs offres en pensant à chaque étape du parcours client, et en se mettant dans leur peau. Il s’agit aussi de penser ses offres en réseau, c’est-à-dire que chaque prestataire puisse proposer des services complémentaires avec d’autres afin d’optimiser le séjour des visiteurs.

La grotte de la Salamandre, toujours à la pointe de l’innovation !

Toujours en France, la grotte de la Salamandre dans le Gard multiplie ses actions en faveur du développement durable avec sa dernière et très récente initiative. Le site touristique s’est en effet équipé d’une ombrière photovoltaïque qui va lui permettre d’être autonome à 80% de sa consommation annuelle.

Ombrières photovoltaïques Grotte de la Salamandre ©DR, sur L’Echo Touristique

Les festivals, laboratoires et lieux d’expérimentation

Pour terminer, quelques événements se sont déjà fait un nom en termes d’éco responsabilité comme le We Love Green, festival de musique situé au bois de Vincennes. Les organisateurs collaborent avec d’autres organisations comme la Ligue de Protection des Oiseaux afin de mesurer durant toutes les étapes du festival son impact, récupèrent des matériaux pour la scénographie et les insèrent dans un circuit d’économie circulaire après le festival…

Le festival sert aussi de laboratoire où sont expérimentés des tests liés à l’énergie qui alimente les scènes. Dans une logique d’intelligence collective et d’open data, les organisateurs partagent leurs résultats au reste du secteur culturel. Enfin, We Love Green a mis en place des nudges afin d’inciter les visiteurs à adopter des comportements responsables par rapport à leurs mégots. Ces mégots seront ensuite collectés et valorisés dans une usine de dépollution. Une façon originale d’inciter les festivaliers à adopter un comportement responsable !

Nudge au WeLoveGreen Festival

 

Les festivals sont donc très actifs et novateurs concernant la mise en place d’actions visant à diminuer leur bilan carbone tout en s’inscrivant dans une logique de développement durable. Mais beaucoup d’autres initiatives mériteraient d’être mises en lumière, que ce soit dans les musées (par exemple l’Expérience Goya au Palais de Beaux Arts de Lille), dans l’édition (La Cabane Bleue illustre bien l’intégration des notions de durabilité au sein de son modèle), dans le cinéma (avec un prix du film éco responsable délivré au Festival de Cannes) … Finalement, qui a dit que la culture était has been ? 

 

Si cet article vous a plu et que vous souhaitez en savoir davantage sur le tourisme culturel, notre guide pratique est disponible ici !

Télécharger notre guide pratique « Tourisme culturel et développement durable »