Comme beaucoup de Grenoblois, avec Guillaume, nous sommes de grands passionnés de la montagne et de la randonnée. En lien direct avec ces pratiques, nous sommes aussi des adeptes des bivouacs en pleine nature. C’est, pour nous, une réelle parenthèse dans nos vies quotidiennes qui permet un contact avec la nature très fort.

Alors depuis le début du déconfinement, nous avons réenfilé nos chaussures et nous sommes repartis prendre l’air dans les montagnes alentour. Mais, vous vous en doutez, nous n’avons pas été les seuls ! Le confinement a donné des envies de nature et grand air à beaucoup d’entre nous. Le résultat est clairement visible, nous avions rarement vu autant de monde parcourir les montagnes.

Cet afflux, qui ne date pas des dernières semaines, et ses conséquences, stationnements gênants, dégradations de l’environnement, gestion des déchets, campings sauvages ou feux de camp posent de vrais problèmes en milieu naturel. Tout le monde n’ayant pas une pratique vertueuse de la nature, et la sur-fréquentation faisant le reste, certaines communes se sont vu obligées d’interdire le bivouac, comme à la Pra, sur la commune de Revel (38) l’été dernier. Dans la Forêt de Fontainebleau, l’ONF a même dû interdire l’accès en voiture à certaines routes et parking.

Mais alors, sans aller jusqu’aux interdictions de bivouaquer ou d’accès, comment les pouvoirs publics peuvent-ils faire pour contrôler les flux ? En allant regarder ce qui se fait dans d’autres pays européens principalement, cet article vise à alimenter la réflexion. Derrière cette question, c’est aussi la philosophie même d’un accès gratuit et libre à la nature qui peut se poser. Et oui, il n’y a pas d’entrées payantes pour accéder aux parcs naturels régionaux ou nationaux en France… Jusqu’à quand ?

 

La règlementation sur les bivouacs en France

Avant d’aller étudier ce qui se fait ailleurs, il nous paraissait intéressant de revenir sur la réglementation française, qui est loin d’être évidente ! Un bel article signé Les Others permet de s’y retrouver mieux. Les bivouacs sont donc autorisés partout où il n’y a pas d’interdiction … Et les interdictions sont nombreuses comme vous pouvez le voir :

En réalité, le bivouac (et non le camping sauvage qui veut dire de laisser sa tente installée toute la journée) est souvent toléré dans les parcs nationaux et régionaux en France, surtout quand il a lieu à proximité des refuges. Les deux règles d’or sont de laisser le lieu tel qu’on l’a trouvé en arrivant et de se faire le plus petit et discret possible pour ne pas déranger la faune et la flore (donc poser sa tente tard dans la journée et l’enlever tôt le matin).
Evidemment, si vous souhaitez faire du bivouac dans un des Parcs Nationaux ou Régionaux français, il est très important de se renseigner sur les autorisations spécifiques à chaque parc. Chacun a ses propres règles, qui parfois s’appliquent seulement sur une partie du parc, sinon ce ne serait pas drôle !

 

 

Un petit tour par l’Europe

Nous n’allons pas nous amuser dans cet article à vous présenter la liste des autorisations pays par pays. Mais si vous souhaitez vous renseigner, des sites existent comme celui-là. De grandes différences existent entre les pays, chacun ayant leur propre définition et réglementation du bivouac ou du camping sauvage. La règle générale est une interdiction des campings sauvages, mais les bivouacs sont souvent tolérés. Quelques pays appliquent tout de même une tolérance zéro.

Cependant, quelques pays autorisent la pratique des bivouacs. C’est le cas de l’Espagne (sauf dans de rares cas comme dans les Encantats) et de quelques pays scandinaves et nordiques (en particulier la Suède et la Norvège). Pour ces derniers, le bivouac dans les espaces naturels est un droit, qui est même encouragé. Cette pratique est légale et gratuite, et montre un rapport et une affinité particulière à la nature qui est considérée comme un bien commun respecté.

Source: Julien Libert / Sentiers du Phoenix

Source: Julien Libert / Sentiers du Phoenix

 

 

Les bivouacs aménagé en Belgique et en l’Allemagne

Dans ce tour d’Europe, deux pays montrent une conception bien différente des bivouacs : la Belgique et l’Allemagne. En effet, dans ces deux pays, les bivouacs sont interdits de partout, sauf sur des aires de bivouacs aménagés. En Belgique, ce sont des aménagements courants dans les zones ou parcs naturels. Ces aires sont réservées aux randonneurs, cyclistes et cavaliers, et sont régies par une charte.

En Allemagne, la règlementation est aussi floue qu’en France et dépend des différents Etats fédéraux. Mais la règle qui prévaut est une interdiction du camping dans les réserves naturelles, parcs nationaux, forêts, réserves ou toutes zones protégées. Alors, comme en Allemagne, les pouvoirs publics ont récemment décidé d’offrir une alternative aux campeurs en aménageant des aires de bivouacs. C’est un projet initié uniquement dans l’Eifel pour le moment.

Mais comme vous pouvez vous en doutez, ces aires rencontrent un certain succès dans des pays où les réglementations sont plus strictes qu’en France. Il faut donc réserver son emplacement à l’avance, et bien évidemment, ce n’est pas gratuit. En Allemagne, par exemple, le tarif est de 10 euros la nuit. Nous sommes bien loin de la conception nordique de la nature comme un bien commun, libre d’accès ….

 

Mais comment faire quand les flux deviennent trop importants ?

Quand les flux deviennent trop importants, qu’est-ce que les pouvoirs publics peuvent faire ? Est-ce qu’il faut interdire complètement l’accès à certaines zones ? Est-ce qu’il faut créer des espaces aménagés comme en Allemagne ou en Belgique, et interdire la pratique en dehors de ces zones ? Ou laisser un accès libre, en comptant sur la population pour ne pas détériorer la nature ?

La réponse n’est pas évidente … Nous avons donc voulu voir quelles alternatives étaient mises en place actuellement en France, et à l’étranger. Cas d’école, le Mont Blanc fait face au tourisme de masse depuis de nombreuses années et la nature (et la sécurité) en paye les conséquences. Pour y répondre, les pouvoirs publics ont décidé de limiter l’accès aux somment aux seules personnes effectuant une réservation dans un des trois refuges du parcours, limitant alors le nombre de personnes à 214 maximum. Afin de surveiller cette nouvelle règle, mais aussi lutter contre les incivilités, une brigade blanche a été créée. Pour le moment, ses pouvoirs sont limités, mais c’est un premier pas vers plus de réglementation.

 

 

Le regard wallon sur la question…

En parlant de bivouacs, Guillaume a eu l’idée d’appeler son pote Julien Libert, alias Sentiers du Phoenix. Il bosse pour la Fédération du tourisme de la Province de Namur en Wallonie. Julien est toujours dehors, dans ses Ardennes. Il dit qu’en Belgique, les bivouacs sont bien interdits. C’est écrit dans le code forestier. Ils ont donc développé 29 bivouacs aménagés en Wallonie. Le principe est simple. C’est gratuit, pas besoin de réserver, en mode « premier arrivé, premier installé ». La fréquentation est assez variable. Les bivouacs proches des axes routiers sont parfois blindés, surtout par des personnes qui ne connaissent pas forcément les enjeux… Ils consomment le lieu, campent toute la journée et ça crée forcément des conflits avec les personnes en itinérance, plus sensible au milieu naturel. D’ailleurs, un bivouac de ce type a été fermé. Trop de dégâts, trop de déchets.

Après, philosophiquement, Julien est proche de la vision scandinave, du droit à la nature. Mais peut-on adapter le concept dans les Ardennes avec une population urbaine beaucoup plus importante à proximité des espaces naturels et moins sensible à la fragilité des milieux.

« Ca ne me dérange pas de voir des amoureux de la nature faire des bivouacs sauvages dans la nature mais si c’est pour partager les spots sur Instagram alors que c’est interdit et que ça pousse à une démocratisation de ces pratiques, ce n’est pas bon du tout ! »

Mais alors, que faire ? Il y a clairement un souci d’éducation, de sensibilisation à la nature. Or, les aires de bivouacs ne jouent pas assez ce rôle encore. « On m’a fait remarquer que la charte du randonneur était écrite à l’arrière du panneau d’information sur l’aire de bivouac mais qui la lit au final ? »

En fait, ce qu’il faudrait peut-être sur cette question de l’éducation à la nature, c’est, pour les autorités publiques, de soutenir, d’investir beaucoup plus dans les médiateurs, dans les guides locaux, dans les accompagnateurs car c’est peut-être eux qui ont un (gros) bout de la réponse…

Source: Julien Libert / Sentiers du Phoenix

 

Des systèmes de péages ou de quotas ?

Autre massif cette fois-ci, les Pyrénées font aussi face à la sur-fréquentation de certains sites. Alors pour y répondre, certaines communes ont installé des parcmètres sur les parkings à proximité de grands sites de randonnée. Ces mesures ne concernent qu’un nombre limité de sites, mais un projet avait fait débat. Il consistait à installer un péage pour limiter l’accès à certaines routes, et par conséquent à certains sites.

Ce projet existe déjà en Autriche où certaines routes et cols sont payants, via des tarifs à la journée ou au passage. Et les prix font peur : d’une dizaine d’euros à presque quarante pour une journée sur ces routes… Face au projet dans les Pyrénées, des associations se sont mobilisées au nom d’un accès libre et gratuit de la montagne. Elles ont eu gain de cause puisque le projet de péage a été retiré en 2018, mais les parcmètres eux sont bien resté.

La dernière alternative que nous voulions vous présenter est celle mise en place sur Pacific Crest Trail aux Etats-Unis. Le PCT est une randonnée mythique qui permet de relier le Canada au Mexique en longeant toute la côte Ouest. Et pour faire face à l’affluence, les autorités ont mis en place un système de permis payants. La délivrance des permis est soumise à des quotas par jour permettant un contrôle des flux. Et si la date que vous aviez déjà prévue est bondée, vous arrivez sur une liste d’attente… à croiser les doigts qu’une personne se désiste.

 

 

Vers un accès à la nature et à l’aventure payant ?

Vous l’aurez compris, que ce soit pour contrôler les flux de randonneurs ou de bivouacs, différentes alternatives existent, mais aucune ne semble optimale. Elles montrent surtout une conception qui tend vers une capitalisation de l’accès à la nature et à l’aventure. En France, nous pouvons aussi voir l’arrivée des premières aires de bivouacs. C’est le cas, exemple, du PNR de Millevache qui vient d’aménager pour la première fois ce type de zone. Tout comme en Allemagne, cette aire est payante et nécessite d’être réservée.

Alors l’accès à la nature, à l’aventure, au bivouac, doit-il nécessairement devenir contrôlé et payant ? C’est une solution difficilement concevable pour nous, même si on est conscient des impacts que les Hommes peuvent avoir sur la nature…

 

Une réflexion à mener…

Nous pouvons voir que cette question gagne en intérêt suite au déconfinement marqué par des besoins de liberté et de nature. Saskia Cousin, anthropologue du tourisme et maîtresse de conférences à l’Université de Paris était interrogé sur ce sujet. Avec son regard, elle explique cette envie de bivouac et de micro-aventure : « Dans tous les cas, il s’agit d’expérimenter des relations différentes, avec le monde, l’environnement et d’autres humains. ». Et face au succès que rencontrent ces micro-aventures, elle met bien en avant le dilemme que présente le désir de liberté face à la sécurisation du vivant :

« La vraie question est la manière dont les pouvoirs publics vont accompagner ces désirs d’escapade avec des aménagements concertés, mais sans frustrer ce désir de liberté. Il s’agit toujours de la même question: comment sécuriser des loisirs motivés par le frisson de l’aventure? »

Au final, elle est bien loin la découverte du futur Parc de Yosemite par John Muir… il est désormais nécessaire de faire avec des contraintes… Un consensus permettra-t-il de ménager la chèvre et le chou… Pas simple !

Cet article ne visait pas à présenter une solution idéale, mais à nourrir la réflexion. Alors n’hésitez pas à réagir, à nous présenter d’autres alternatives ou d’autres points de vue !