Les acteurs du monde de l’outdoor n’ont jamais été les plus précurseurs dans le digital. Il suffit de regarder encore certains sites Internet de bureau des guides et d’accompagnateurs en montagne. Et pourtant, quel potentiel ! Quelle matière première pour du storytelling ! Des plateformes spécialisées commencent à apparaître depuis 2 ans en France. Or, cette hyper-personnification des acteurs de l’outdoor n’a-t-elle que des avantages ? Ne va-t-on pas basculer vers une tinderisation de ce monde avec les quelques dérives qui vont avec ?
En Bavière pour parler digitalisation de l’Outdoor
Aujourd’hui, je file en Bavière pour la conférence Outdoor Active. Direction Immenstadt, à quelques kilomètres du point de départ de la Via Alpina que j’avais entamé il y a 2 ans. Coïncidence.
Ces 2 jours de conférence sont dédiés au milieu de l’outdoor, les nouvelles tendances, les nouveaux produits mais aussi forcément l’impact du digital dans ce milieu de la pleine nature… J’ai prévu de prendre la parole sur l’importance de la personnification et du design sur les sites de plateformes de mise en relation entre les voyageurs / pratiquants / touristes et les professionnels de l’outdoor comme les guides de haute montagne, les accompagnateurs, les professeurs de kite-surf ou d’escalade ou les brevets d’Etat en canyoning, escalade ou VTT…
Le milieu de l’outdoor n’a jamais été très bon sur les questions de digital. La nature a pris plus de temps à intégrer les enjeux numériques, ce qui, au fond, est plutôt légitime ! C’est pour cette raison que des plateformes dédiées se sont créées dernièrement comme Kazaden par exemple. Or, des acteurs plus généralistes et plus puissants commencent aussi à proposer des offres outdoor comme Airbnb Experience.
Mais là, sur ce billet, je n’ai pas envie de comparer le design des différentes plateformes. Je voudrais plutôt réfléchir à l’aspect sociologique & sociétale de tout ça que j’appelle la tinderisation des acteurs de l’outdoor.
Oui oui, tinderisation ! Je m’explique…
Hyper-personnification & Tinderisation
En créant des plateformes de mise en relation, l’importance est forcément mise sur l’individu et non plus uniquement sur la pratique, le circuit, le trek, etc. C’est une question de différenciation marketing. Combien d’accompagnateurs en montagne vont proposer par exemple de faire le tour du Mont Blanc, le GR20 ou encore le Camp de Base de l’Everest au Népal. La différence peut se faire sur la qualité, l’expérience ou encore les commentaires des clients sur Tripadvisor. Or, avec la freelancisation de la société, on va retrouver de plus en plus d’acteurs individuels qui vont essayer de se faire une place sur le marché. La différence va donc se faire sur la personne… D’où l’importance de la personnification en ligne des prestataires de l’outdoor pour ces plateformes. Airbnb l’a bien compris avec Experience où l’on peut voir des petites vidéos valorisant parfaitement le professionnel dans un spot expérientiel qui pousse l’internaute déjà dans le voyage et la convivialité de la rencontre et de la pratique sportive.
Il y a 2 ans, Zeemono se lançait en particulier dans le monde des moniteurs de ski et des professeurs de sport. Kazaden a été créé plus récemment dans le milieu de l’outdoor en général plus particulièrement avec les guides, accompagnateurs et autres brevets d’état. Bien sûr, ces plateformes vont pouvoir aussi s’appuyer sur des acteurs têtes d’affiche, des « gueules » comme au cinéma, des hommes et des femmes qui ont des choses à raconter, qui ont des bonnes têtes, qui ont un physique, qui ont un charisme communicatif, des personnes que l’on a envie de rencontrer !
Vous commencez j’imagine à faire le lien doucement vers ma réflexion autour de la tinderisation des acteurs de l’outdoor.
Et bien oui, Tinder et toutes les plateformes de rencontres, c’est aussi cela. On cherche une personne avec qui ça va coller, on cherche du sur-mesure au final ! Et la photo de profil a une importance incroyable et l’histoire que l’on va raconter sur soi ou sur ce que l’on fait aussi. Et dans le cas des acteurs de l’outdoor, ce sera exactement la même chose. Il va falloir faire preuve de créativité, de sincérité, d’humour, de storytelling pour convaincre le client de participer à une sortie. Il va falloir des photos et des vidéos de qualité pour mettre en scène tout ça. Les bureaux des guides et des accompagnateurs n’ont jamais su le faire. C’est pour ça que des acteurs comme Kazaden tentent de répondre à ce besoin.
Des risques si on pousse l’histoire trop loin?
A travers le développement de ces plateformes, je vois plusieurs risques sociaux et sociétaux importants.
Je repense souvent à l’épisode 1 de la Saison 3 de Black Mirror, Chute Libre sur Netflix où chaque individu dans la société a une note au-dessus de sa tête, visible par tous à l’aide de nos lentilles de réalité augmentée. Ces notes sont attribuées par chaque personne suite à une rencontre. Forcément, les mieux notés restent entre eux et font preuve d’une totale hypocrisie lors de chaque rencontre (étant donné que les notes attribuées par les meilleurs impactent plus sur la votre…). Au final, on a déjà cela sur le site Blablacar si on n’y réfléchit bien. Demain, aura-t-on aussi ce système de notation dans les activités de l’outdoor. Dans un sens, c’est certain. Dans les 2 sens, qui sait… la porte ouverte à la notation des touristes… ?
J’ai une autre réflexion aussi. Cette hyper-personnification des acteurs de l’outdoor ne va-t-elle pousser les individus à valoriser outre-mesure leurs qualités, à photoshoper les photos… Se verra-t-on déçu de la rencontre avec Angela, professeure de surf au Brésil car les photos présentées sur le site ne correspondront pas du tout à la réalité… Je force volontairement le trait mais c’est aujourd’hui exactement la même histoire sur Tinder ou Happn. Combien de premier rendez-vous arrêté de manière anticipée & prématurée à cause d’un mensonge sur la photo…
Notre société sexiste aura forcément un impact sur tout ça. Va-t-on regarder plus le physique des professionnels que leur expérience et donc potentiellement la sécurité ? Je crois d’ailleurs avoir lu que les monitrices de ski étaient largement plébiscitées quand on laissait le choix aux pratiquants face aux anciens moniteurs du type de celui qui apprend à Jean-Claude Dus le planté de bâton dans Les Bronzés font du Ski.
Alors, vers où va-t-on ? Qu’en pensez-vous ? Je serais heureux de connaître votre vision de tout ça.
Au plaisir de vous lire,
Guillaume CROMER, directeur ID-Tourism
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