Pour bien comprendre les enjeux du tourisme durable, il est souvent intéressant de lever la tête en dehors de nos frontières. Nous lançons donc une nouvelle série “Vision d’ailleurs” pour comprendre le tourisme & son évolution dans d’autres pays. Focus sur le Royaume-Uni avec Carole Favre, fondatrice de Small Matters, française basée à Londres.
Carole, qui es-tu ? Quel est ton parcours pour être désormais consultante en tourisme durable basée à Londres ?
Mon parcours a été une véritable aventure qui est le résultat de rencontres et d’opportunités que j’ai saisies sans vraiment réfléchir, juste parce qu’elles paraissaient intéressantes et différentes.
Je suis née à Tours et j’ai grandi à Loches, une petite ville de 7 000 habitants, où mes parents tenaient une graineterie et un magasin de pêche. Apres avoir obtenu un DUT en Techniques de Commercialisation, je suis allé passer un an du coté de Liverpool ou j’ai travaillé en tant qu’assistante de Français afin de perfectionner mon Anglais. A partir de ce moment, j’ai enchaîné les aventures d’abord en Lithuanie où je suis restée 4 ½ ans pour diverses expériences dont le lancement des premiers supermarchés en libre-service du pays ! De retour en Angleterre, j’ai décidé de repartir d’une feuille blanche, femme de ménage dans un Bed & Breakfast puis agent de voyage avant de me lancer dans une carrière d’enseignante dans le tourisme pendant 13 ans tout en continuant mes études de développement international à distance.
J’ai continué à voyager autant que possible, surtout dans des destinations émergentes et c’est mon expérience de tourisme communautaire en Ethiopie qui m’a donné l’envie de commencer un Master in Responsible Tourism Magement à Leeds avec le ICRT (International Centre for Responsible Tourism). Les maitrises peuvent se faire à distance et à mi-temps sur 3 ans mais après une année j’ai décidé de démissionner pour finir ma thèse au plus vite et pour passer à la prochaine étape de ma vie. Un
plan a commencé à se former après la remise de ma thèse qui s’est matérialisée en un ouvrage de référence intitulé « Comment
capter de nouveaux marchés ? » et publié par le Travel Foundation. Il est dédié aux petits fournisseurs d’excursions dans les destinations émergentes ou en voie de développement et leur apprend à vendre aux tour-opérateurs anglais.
J’ai donc décidé d’utiliser mes compétences d’enseignante pour monter « Small Matters », dont le but est d’offrir des ateliers de formation sur l’accès aux marchés aux micro-entrepreneurs touristiques (excursions et hébergement). Il m’a fallu 6 mois pour m’infiltrer dans ce secteur et trouver des clients continue, après 2½ ans, à être une bataille journalière car mon type d’intervention est très niche et les petits entrepreneurs ne sont jamais la priorité des gouvernements ou des ONG (à l’encontre des projets communautaires).
WTM de Londres
J’ai commencé par organiser les World Responsible Tourism Awards qui ont lieu chaque année au WTM et puis j’ai fait quelques missions pour un bureau d’ingénierie du tourisme qui avait besoin d’un formateur parlant le Français, et enfin j’ai mis en place un programme de ressources de formation et reformulé la stratégie Tourisme Durable de l’Association of Independent Tour
Operators. Mon ‘premier’ contrat a été avec le Ministère du Tourisme de Malte pour lequel j’ai animé des ateliers de formation (je me suis vite rendue compte que les petits entrepreneurs rencontrent les mêmes défis et ont les mêmes lacunes quel que soit leur pays d’origine). Depuis, j’ai travaillé a Gozo dans l’optique de développer un label qualité ayant pour but de promouvoir les activités et produits locaux et de diminuer l’exode rural. En Janvier et Février cette année j’étais en Haïti (Jacmel) ou j’ai formé un groupe de 7 guides à monter leur entreprise dans le cadre d’un projet ST-EP de l’OMT et aujourd’hui je suis à Salvador de Bahia ou je travaille pour la BID afin de formuler un plan d’action pour améliorer la situation des plus pauvres qui travaillent dans le tourisme.
Il est impossible de pouvoir faire carrière en Angleterre sans être flexible, sans démontrer un large portefeuille de compétences polyvalentes et une volonté de « mettre la main à toutes les pâtes ».
En France, nous avons une véritable problématique d’image perçue du tourisme durable avec de nombreux noms différents utilisés (responsable, équitable, solidaire, écotourisme, etc.) et pas mal de stéréotypes sur les produits vendus. Est-ce la même chose pour les Britanniques ? Y a-t-il un consensus sur un nom utilisé ? L’image perçue est-elle la bonne ?
En général, on utilise soit le terme « responsable » ou « durable ». ll y a tout un débat académique autours de la définition de ces deux mots (quel est le meilleur concept) ce qui est, à mon avis, une véritable perte de temps car le public n’y porte aucun intérêt. Beaucoup de tour-opérateurs (TOs) ou de lodges utilisent le terme « écotourisme » mais le tourisme social ou solidaire ou équitable n’existe pas du tout : ce sont des concepts trop politiques et abstraits.
En fait, toutes les études démontrent que positionner des séjours en utilisant les mots « responsable » ou « durable » n’a pas de résonance avec la majorité des consommateurs. Bien sûr, il y a des TOs niches qui se spécialisent, ainsi que des clients qui recherchent ce genre de vacances (Responsible Travel) mais ici, nous savons que ce sont les tour-opérateurs généralistes comme Thomas Cook et Thomson qui, s’ils changent leurs pratiques, produiront le plus d’impact dans les destinations. En fait, ces TOs ont déjà beaucoup investi dans le tourisme durable mais ils choisissent de communiquer leurs accomplissements en ciblant la promotion sur la qualité de leurs expériences, ou leur authenticité ; c’est la même chose en ce qui concerne les grands hôtels où le message se centre de plus en plus sur la qualité de la nourriture et la décoration d’origine locale ; c’est là que se construit l’avantage compétitif, le USP – le positionnement
unique de vente. Evidemment, c’est particulièrement important pour les petits établissements qui doivent se démarquer et qui ont peu de moyens. C’est la qualité de l’expérience (et non les labels) qui génèrent des commentaires sur les réseaux sociaux.
Les touristes ne veulent pas être chargés de responsabilités en vacances (cela ne veut pas dire qu’ils doivent être irresponsables) : ce n’est pas un message assez ludique. En fait, la question est « Qui est responsable ? ». Nous pensons qu’il est plus efficace de faire en sorte que les TOs organisent des expériences et signent des contrats avec des fournisseurs qui le sont eux-mêmes, et qu’ils doivent introduire des systèmes de contrôle de qualité qui permettent de générer des impacts positifs.
Tout tourne autour du produit qui doit intégré les enjeux «développement durable », de ce fait il n’y a pas besoin de le promouvoir comme tel. En France, on a vraiment tendance à intellectualiser ad vitam aeternam et en Angleterre, on est beaucoup plus préoccupé par le business alors il faut trouver un moyen de vendre qui fonctionne.
Concernant les labels et certifications, comment cela se passe-t-il en Angleterre ? Y a –t-il des labels reconnus par le grand public ou par les professionnels à la fois dans l’hôtellerie et dans le tour-operating ?
En Angleterre, à cause de la langue, nous avons accès à une pléthore d’options qui viennent d’ici mais aussi des Amériques et d’Asie. C’est donc la vraie jungle au label et il y en a tellement qu’il est impossible pour les clients d’identifier celui auquel ils peuvent vraiment faire confiance car personne ne contrôle la qualité de ces programmes. Cependant certains sont reconnus par les professionnels.
Les deux seul labels auxquels je fais personnellement confiance sont les World Responsible Tourism Awards (qui ne sont pas un label mais les ayant organisé je suis sure de leur éthique) et la certification Green Tourism . Les labels peuvent aider les entreprises à mettre en place des systèmes, et surtout pour les hôtels, à faire des économies en ce qui concerne les coûts énergétiques etc. Mais ce qui compte quand on promeut un label auprès des entreprises, ce n’est pas qu’il permette aux populations locales ou aux destinations de réduire les impacts négatifs du tourisme (ce message, malheureusement n’est pas celui qui compte) MAIS qu’il permet aux entreprises de réduire leurs coûts de fonctionnement : le tourisme n’est pas une activité sociale et charitable, c’est un business qui doit rapporter de l’argent aux investisseurs et entrepreneurs. Je sais que cette approche n’est pas très philosophique mais elle est réaliste!
Interview réalisée par Guillaume Cromer (Suivez moi)
Nous réalisons des stratégies de marketing touristiques dans leur temps et intégrant tous les principes du développement durable !