Nouvelle série Vision d’anthropologue
Pour bien saisir les enjeux du tourisme, il est pertinent de faire appel aux sciences sociales. Nous lançons donc une nouvelle série “Vision d’anthropologue” pour entamer une réflexion sur le tourisme et ses impacts sur les touristes & les locaux. Pour ce premier article de cette série, focus sur les intérêts du maniement de l’anthropologie dans l’ingénie du tourisme par Aude Créquy.
Anthropologie du tourisme ?
L’anthropologie du tourisme s’intéresse aux répercussions sociales et culturelles de la pratique du tourisme. Les premiers anthropologues à se pencher sur le sujet vont développer le thème du tourisme comme déclencheur d’acculturation et mettre à jour l’interculturalité si particulière au tourisme. La communauté visitée et sa culture sont étudiées afin de saisir les éléments de leurs modes de vie et les modifications dues au tourisme. Lorsque le touriste et le visité sont en présence l’un de l’autre, la rencontre de deux identités, thème familier et récurrent en anthropologie, entraîne un échange particulier aux conséquences variables.
Anthropologie = pays d’accueil et visitorat
Cependant, l’anthropologie ne se tourne pas uniquement vers les communautés d’accueil. L’étude du visiteur et de sa culture est tout aussi importante car ces études expliquent les motivations du visiteur et donc son comportement en voyage. L’anthropologie interroge les barrières culturelles des touristes et leurs capacités à s’en défaire. L’homme a besoin d’éléments familiers qui l’entourent afin de se sentir en sécurité et de ne pas perdre ses repères. La nouveauté du voyage peut perturber le visiteur et chaque visiteur s’adapte différemment à la nouveauté. Cette conception permet de poser une base dans l’analyse sociologique et anthropologique du tourisme car elle met en avant toute la difficulté pour le visiteur de jouer avec sa culture et celle de l’autre, d’équilibrer les rapports pour mieux s’adapter.
Une meilleure compréhension
L’anthropologie du tourisme sert donc de grille de lecture pour mieux comprendre le touriste et donc la clientèle des agences de voyage. Les professionnels du tourisme ont tout intérêt à se pencher sur la question pour cerner au mieux leur clientèle et la diriger vers le séjour adéquat. Offrir un séjour en fonction du type de visiteur et sa capacité à réagir aux nouveautés permettra d’éviter les incompréhensions culturelles voire les conflits et d’améliorer la rencontre interculturelle.
Tourisme optimal
De la même façon, l’anthropologie du tourisme se penche aussi sur les types de tourisme et de séjour proposés aux touristes. Quel tourisme favorise une meilleure compréhension culturelle et quel tourisme est un frein socioculturel ? Comment s’implanter sur un territoire ? Quels éléments favorisent la participation active de la population locale et quels éléments font des communautés locales des acteurs passifs du tourisme ?
Parfois, l’anthropologie peut paraître loin des préoccupations d’une entreprise touristique. De nombreuses agences se concentrent sur les loisirs et le plaisir que procure un voyage. Les complexes hôteliers sont déjà en place, la clientèle n’est intéressée que par les différentes activités proposées à l’intérieur de ce complexe. Alors pourquoi favoriser la rencontre ? Pourquoi se focaliser sur l’interculturalité, ses problématiques et ses enjeux ? Si la population locale ne tient pas à participer au tourisme et si les touristes ne sont pas curieux du territoire visité alors pourquoi forcer la rencontre ?
La rencontre est inéluctable. Qu’on le veuille ou non, on ne peut visiter un territoire sans croiser ses habitants, sauf peut-être dans les déserts et les forêts vierges, et encore… Une rencontre, même furtive, a ses conséquences. Nier la rencontre et vouloir profiter d’un territoire sans s’intéresser au-dit territoire font partie des mécanismes touristiques étudiés par l’anthropologie. Ce comportement renvoie au néocolonialisme. Cela revient à dire que l’on peut pratiquer un tourisme à sens unique, utiliser un territoire qui n’est pas le sien, l’exploiter sans rien donner en retour et sans se soucier de son propre impact. Cela revient à agir comme SQM et Codelco à Quillagua, au Chili, ces sociétés minières et chimiques qui exploitent un territoire et partent s’installer ailleurs quand leurs réservoirs contaminés à
l’arsenic débordent et coulent dans le fleuve Loa. Depuis, plus rien ne pousse à Quillagua et les habitants n’ont plus d’eau, ne serait-ce que pour boire. On parle bien plus souvent des sociétés pétrolières ou minières car les conséquences sont visibles immédiatement et les exemples nombreux mais le tourisme peut être un véritable arsenic pour les populations visitées.
Les études faites par les sciences sociales sont une alerte pour penser différemment nos pratiques et éviter des catastrophes environnementales comme culturelles. Ignorer une population qui ne veut pas de tourisme sur son territoire ou qui ne s’implique pas dans le tourisme est source de conflit. Si l’ignorance, voire la soumission, est la principale réaction visible, la frustration est présente et le conflit latent. Une population passive finit toujours par réagir et par se manifester. Les études que proposent l’anthropologie du tourisme déblayent le terrain et permettent de comprendre les mécanismes culturels certes, mais aussi économiques et politiques. Ce travail devrait accompagner chaque nouveau projet touristique et me paraît un outil indispensable dans l’ingénierie du tourisme.
Par Aude Créquy, anthropologue
Intégrer les habitants dans votre stratégie de marketing touristique ? C’est possible !