Alors que la fin de l’été sonne le retour au bercail des principaux touristes et le soulagement des habitants qui pourront récupérer leur ville, il est clair que les destinations sont dorénavant prévenues. Il va falloir se préparer pour les prochains grands départs car le tourisme n’a pas prévu de décroître… Et il va falloir donc se poser des questions pour anticiper les problèmes et ainsi engager une politique de tourisme… durable, oui oui, qui respecte les enjeux économiques, sociaux et environnementaux!

Les cloches des vaches, ça fait trop de bruit!!

Sur mon fil Facebook, un débat s’installe depuis ce matin suite une publication de mon ami Alain Roux. En cause, un article du Dauphiné Libéré où une pétition a été envoyée au Maire du Biot en Haute-Savoie, signée par des propriétaires de résidences secondaires qui se plaignent du … bruit des clarines des vaches… Oui oui, vous lisez bien, ce n’est pas le Gorafi. On en est bien arrivé là!

Bien sûr, je ne vais pas revenir sur tous les détails de la grogne anti-tourisme de cet été. De nombreux articles ont été écrits, des débats enflammés à la radio et sur les chaînes d’info mais aussi bien-sûr les actes de vandalisme et autres manifestations à Barcelone, Venise, Lisbonne, en Croatie ou dans le pays Basque…

Je vous rappelle ma vision de tout ça. La problématique selon moi est bien plus complexe que ce qui a été dit au départ dans les médias. Il ne s’agit pas simplement de pointer du doigt les véhémences d’un groupuscule extrémiste d’habitants mécontents face aux comportements désastreux de touristes alcoolisés qui logent dans des Airbnb.

 

 

4 causes des conflits, 1 solution

Oui, pour moi, il y a 4 causes principales qu’il faut pointer du doigt et c’est très lié des personnes qui pilotent les politiques touristiques de ces destinations. Les voici:

 

  • Manque de compréhension de la complexité du tourisme

Et oui! Le tourisme, c’est pas un truc de touristes! C’est bien plus compliqué que ça. Ce n’est pas juste d’attirer des touristes, de faire de belles campagnes de communication de la destination et d’orienter les touristes à l’accueil des offices de tourisme. Il y a des questions d’économie, de fiscalité, de sécurité, d’environnement, de bien-être des habitants, de satisfaction des visiteurs, de data, de tech, de sociologie, de relations humaines, de marketing, etc. Le problème, c’est que les élus qui gèrent les stratégies et autres politiques touristiques ne voient pas forcément toute la complexité de ce secteur et n’en voient qu’un tout petit bout (souvent celui de l’attractivité touristique et bien sûr des retombées économiques pour les caisses de la ville). Or, si l’on ne regarde que le pilier économique, des déséquilibres vont commencer à se faire sentir en particulier sur les aspects sociaux, sociétaux et environnementaux…

  • Manque d’anticipation et de prospective

Comme dans une entreprise, il est primordial de ne pas garder le nez dans le guidon et de voir, loin, un objectif de long terme. C’est pour cette raison que les collectivités demandent à des consultants comme nous de produire des stratégies de développement touristique. Or, ce n’est pas juste pour avoir ce document dans un tiroir ou pour justifier une dépense, il faut l’utiliser régulièrement comme une feuille de route et construire des outils de suivi pour analyser régulièrement si la destination est bien dans la lignée des objectifs affichés. Or, ces tableaux de bord, là où ils sont utilisés, sont fortement biaisés car ils ne regardent encore une fois la vision touristique que par le petit bout de la lorgnette, c’est-à-dire par le pilier purement économique, c’est-à-dire le taux d’occupation, le nombre de touristes ou les retombées économiques. Et de cette manière, on ne voit pas les signaux sociaux ou environnementaux qui vont impacter l’économie touristique comme… la fronde des habitants. Et on subit tout cela sans pouvoir anticiper! Or, ce fossé entre des touristes de plus en plus nombreux (et donc plutôt riches) et des habitants qui subissent les crises successives (et donc plutôt pauvres), ça créé des conflits. Et pourtant, on aurait pu détecter quelques signaux faibles qui nous auraient mis sur la voie…

  • Manque d’ouverture vers les autres secteurs et départements des collectivités

En effet, le tourisme comme d’autres secteurs travaillent majoritairement en silos au sein des collectivités locales. Et plus les collectivités locales sont importantes, plus la verticalité et la manque d’agilité sont flagrantes. C’est également la même chose que dans les entreprises qui, en grossissant, n’arrivent plus à garder la flexibilité et la transversalité des différents départements. Quand Steve Jobs est revenu en sauveur au sein d’Apple, il a vite cassé le modèle de management et l’organigramme pour croiser les départements au sein d’espaces communs afin que les salariés se voient, se parlent et co-construisent les solutions dans une vision customer-centric. Et bien, ce serait pas mal que certaines collectivités locales de grande taille prennent le temps de lire la bio de Steve Jobs ou simplement des livres sur la mutation nécessaire des organisations.

 

 

  • Manque d’écoute de toutes les parties prenantes sur le territoire

Point central! Savoir écouter l’ensemble des parties prenantes sur un territoire. Et oui, il ne s’agit pas simplement d’écouter ou de lire les commentaires des touristes sur Tripadvisor (si déjà tous les socio-professionnels le faisaient et répondaient…). Pour cela, il serait bien intéressant de renouer des liens, des communications en vrai avec les habitants, les propriétaires de résidences secondaires, les socio-professionnels, les gens qui proposent un Airbnb ou une expérience à travers une plateforme… On pourrait très bien construire des comités, des clubs, des associations d’habitants et de touristes ambassadeurs qui dépasseraient clairement le rôle des Greeters et qui travailleraient main dans la main avec l’office de tourisme. Ces derniers seraient de parfaits lanceurs d’alertes pour sentir venir les signaux faibles de conflits, la tension qui monte dans certains coins de la destination. Et donc anticiper, désamorcer les bombes conflictuelles…

 

La fronde anti-tourisme, résultat de la non-prise en compte du tourisme durable

Derrière ces points, il y a quelquechose qui me saute aux yeux! Tout cela correspond à des enjeux de tourisme durable!

Si on prend conscience (faut-il encore le rappeler?) que le tourisme durable ne correspond pas à cette clientèle de bobos urbains vegan et solidaire qui dort dans les arbres mais bien à l’ambition stratégique des entreprises et des destinations d’intégrer les enjeux du développement durable, on comprend vite que la fronde anti-tourisme est la résultante de la non-prise en compte d’une politique de tourisme durable

Il est donc primordial d’intégrer tous les acteurs locaux dans la construction, le suivi et l’adaptation des politiques touristiques. Renouer le dialogue, remettre de l’humain dans une société qui tend à devenir bien trop virtuelle. Mais aussi construire des tableaux de bords plus efficaces qui intègrent tous les aspects complexes d’une destination et qui puissent mesurer les possibles saturations des destinations. Je repense d’ailleurs à ce récent article en anglais sur les limites du label « Patrimoine Mondial de l’UNESCO« …

Petit message à Madame Pécresse, Présidente de la Région Île-de-France quant à sa politique touristique

Pour conclure, au risque d’être hors-sujet (mais je ne crois pas), je voudrais interpeller Madame Valérie Pécresse et son équipe Tourisme en particulier Monsieur Othman Nasrou, vice-président en charge du tourisme et Monsieur Frédéric Valletoux, président du CRT Île-de-France. Ces derniers jours, vous vous vantez largement de vos superbes résultats estivaux en matière de tourisme sur le territoire francilien et vous présentez de grandes ambitions dans ce secteur pour la région. Sachez que sans politique de tourisme durable, aucune de vos ambitions ne se réaliseront car des impacts négatifs vont entachés ces prévisions comme on a pu le voir dans d’autres destinations européennes. L’association que je préside, Acteurs du Tourisme Durable, soutenu historiquement par la Région Île-de-France et signataire du Plan Triennal du tourisme durable en Île-de-France en 2015, a tenté depuis votre prise de commande de la région de collaborer avec vous afin de continuer cette stratégie, de l’adapter à vos ambitions et de construire une véritable politique de tourisme durable en Île-de-France en s’appuyant sur l’expertise et les bonnes pratiques innovantes de notre centaine de membres de toute la France. Or, vous nous avez baladé littéralement, mettant en danger cette association qui est la seule à exister de ce type dans le monde en rassembler les différents métiers du tourisme engagés au service d’un tourisme durable et vous l’avez fait en pleine Année Internationale du Tourisme Durable pour le Développement, proclamée par les Nations Unies. Mme Pécresse, Bravo!

 

Guillaume Cromer, directeur ID-Tourism & Président Acteurs du Tourisme Durable

 

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