Par Benjamin MALATERRE, ID-Tourism

Introduction :

Autrefois appelé chasse sportive, ce type de tourisme constitue la pratique touristique la plus ancienne du continent Africain. Pratiquée dès le début du XIX siècle, la chasse sportive connut un engouement très fort dès l’arrivée des premiers colons blancs, venus en Afrique pour satisfaire leur soif d’aventure et découvrir de nouveaux espaces à l’époque considérés comme « vierges ».

Après avoir été longtemps pratiquée de manière individuelle selon des modalités et sur des espaces libres de toutes contraintes législatives, sa démocratisation, sa professionnalisation puis son internationalisation progressive ont donné naissance, vers le milieu du XXe siècle, au tourisme cynégétique. Dès lors, cette pratique touristique fut réglementée dans le cadre d’espaces bornés, et fut dotée d’une réglementation extrêmement rigide et déterminée par l’administration coloniale qui reproduisit, à l’identique, les modèles d’aménagement des territoires occidentaux. Par ailleurs, les premières aires protégées de l’Afrique subsaharienne (datant des années 1920 et réservées à l’élite coloniale blanche) correspondent au zonage des parcs nationaux actuels.

Aujourd’hui, le tourisme cynégétique est devenu, dans les discours officiels des gouvernements africains, un des enjeux principaux de la politique de conservation faunistique et floristique des « espaces communautaires ». Le programme « Campfire » au Zimbabwe, Admade en Zambie ou encore Ecopas pour le parc du W au Niger, Burkina-Faso et Bénin, en sont des exemples éminents. Le but principal de ces programmes, étant de rendre effective les retombées économiques liées au secteur du tourisme pour les populations locales par le biais de l’autonomisation (1) des communautés locales en les intégrant dans les programmes de gestion de la zone Cynégétique. Néanmoins, dans les faits, il s’avère que la participation des communautés locales est loin d’être effective. De plus, la gestion des zones d’intérêts cynégétiques restent l’apanage de sociétés privées avec des apports de capitaux issus d’entreprises étrangères, au travers d’un système de concession par lequel les terres sont attribuées sur plusieurs années (durant 5 à 15 ans selon les pays).

Dans ce contexte, le but de cet article est de balayer les principaux facteurs de réussite et d’échec de la mise en place des projets de tourisme cynégétique aux abords des parcs nationaux, principalement au travers de l’exemple du parc du W et de la zone cynégétique de la Djona mais aussi dans d’autres projets en Afrique de l’ouest.

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I/ Description du système de fonctionnement de la zone cynégétique de la Djona

La zone cynégétique de la Djona s’étend sur 115 200 hectares, et est située dans la région d’Alibori (nord -est Bénin) à l’est du parc du W. Cette zone cynégétique, ainsi que le parc constituent à eux deux, le principal rideau contre l’avancée de la désertification au Bénin et font face à de nombreuses menaces environnementales. Plus encore, ces deux zones présentent un grand intérêt faunistique et floristique et sont connues pour la présence de plusieurs colonies d’éléphants.

La Djona, mise en place par le programme européen Ecopas (qui prit fin en 2007), est gérée en grande partie par le CENAGREF (2) (centre national de réserve de faune) et est financée à la fois par les autorités publiques, ainsi que les bailleurs de fond privés qui veillent à l’entretien et au bon fonctionnement de la zone cynégétique. Officiellement, il est convenu  entre les différentes parties prenantes du projet, qu’un pourcentage des revenus lié à l’activité de la chasse sportive doit revenir aux AVIGREF (3) (association villageoise de gestion des réserves de faune) sous forme de taxes. Les AVIGREF, doivent ensuite utiliser cet argent pour financer des projets de développement locaux dans le village. De même, la viande issue de l’abattage des animaux doit normalement être ramenée aux AVIGREF qui distribuent les abats aux habitants de la localité.

Toutefois, lorsque que l’on interroge les AVIGREF sur les retombées économiques de la mise en place de la zone cynégétique, on se rend vite compte que le fonctionnement officiel est très loin d’être appliqué sur le terrain. « Nous ne sommes presque jamais au courant des touristes qui viennent, et nous n’avons jamais reçu la viande issue des abattages des animaux dans la zone cynégétique, pourtant nous voyons des 4X4 de touristes blancs pratiquement une fois par mois » (4) (extrait d’un entretien réalisé dans le nord-est du Bénin en 2011), nous rapporte un membre des AVIGREF. Dans le même temps,étant situés dans un milieu très aride, les villageois aux alentours de la zone cynégétique ne peuvent pas se permettre de se passer de cette ressource et continuent à venir prélever et chasser ce dont ils ont besoin puisque l’activité touristique n’a pas l’impact escompté sur leur niveau de vie.

Dans ce cadre, l’activité touristique entraînant la mise en place des différents zonages d’utilisation des terrains (résultant une fois encore d’un mimétisme vis-à-vis des administrations européennes) entraînent de nombreux conflits d’usages car ils ne sont absolument pas adaptés aux réalités locales et aux besoins de la localité.

II/ Le danger de la mise sous cloche du territoire

La zone cynégétique est soumise à l’exploitation non autorisée de la paille qui est une des ressources clés du village, permettant la confection des toits des habitations et l’alimentation du bétail. Cette activité lucrative est cependant illégale, « rapporte pour chaque ballot la somme de 2000 FCFA » (5) (extrait d’un entretien réalisé dans le nord-est du Bénin en 2011), nous rapporte l’un des éco-gardes basés dans le village d’Alfakoara. De même, le braconnage est une autre activité illégale récurrente dans la zone cynégétique qui entraîne le recul de nombreuses espèces animales comme l’éléphant ou le phacochère. En effet, bien que le nombre de braconniers soit très faible, les conséquences sur la faune de la zone cynégétique sont souvent dramatiques.

Normalement, chaque braconnier pris sur le fait est amené à la base des éco-gardes de Kandi et soumis à une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 FCFA (en cas de non-paiement de l’amende, le braconnier est envoyé au tribunal et soumis à des peines de prison). A noter, les braconniers travaillent rarement pour leur propre compte et sont souvent employés par des commerçants des grandes villes aux alentours (Kandi ou de Malanville, dans le cas de la zone cynégétique de la Djona).

Néanmoins, une fois sur le terrain nous nous sommes rapidement rendus compte que les activités de braconnage des gens du village sont rarement réprimandées, voire même tolérées par les éco-gardes, car conscients de la nécessité qu’ont les habitants de venir récolter ce qui finalement fut leurs biens, avant l’arrivée des touristes.

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Photos d’un braconnier pris sur le fait, en avril 2011

Ainsi, malgré les avancées indéniables que le programme représente en vue d’une meilleure intégration du contexte local aux bénéfices tirés de mises en conservation, il ne propose pas une réelle appropriation des droits d’usage de la ressource et de l’espace aux populations. Les politiques restent coercitives sur des espaces pourtant dits « villageois » ou « communautaires ». A Alfakoara, les populations riveraines des zones de chasse n’ont souvent pas d’autre choix que d’élaborer des stratégies de contournement et des protocoles d’accords les liant à leurs partenaires, c’est-à-dire continuer à chasser pour se nourrir et commercer. L’ambivalence des propositions faites aux populations « bénéficiaires », assujetties formellement à la politique « de la carotte et du bâton », questionne également sur les réelles stratégies étatiques, tant d’un point de vue de la conservation des ressources que de la démocratisation des droits d’accès à celles-ci.

III / Le tourisme cynégétique, un produit d’écotourisme de luxe

A ce jour, le Bénin est loin d’être le seul pays à avoir fait le choix d’utiliser le tourisme cynégétique comme une source de revenus : pas moins de 23 pays d’Afrique subsaharienne l’autorisent et génère environ 18 500 clients par an avec un revenu annuel d’environ 201 millions de dollars.

Ainsi, la zone cynégétique de la Djona reflète une réalité que l’on pourrait mettre en avant dans la plupart des cas de développement du tourisme cynégétique dans les pays d’Afrique. Si la chasse sportive n’est pas aussi exclusive que d’autres modes de gestion ou de conservation de la faune sauvage (tourisme de vision, ranching, etc.), elle nécessite toutefois, idéalement, une quasi-absence de pression anthropique sur les espaces qu’elle exploite. En conséquence, ces acteurs (concessionnaires, guides de chasse) ont, en contrepartie, tendance à s’approprier l’exclusivité des droits d’usage sur la ressource convoitée. Même si la législation nationale est souvent plus souple (par exemple en RCA ou au Cameroun, les droits de chasse dits « traditionnels » ou « coutumiers » devraient être respectés sur les zones d’intérêt cynégétique)(6)

Pour autant, il ne s’agit pas de diaboliser le tourisme cynégétique, pouvant être un mode de valorisation de la faune sauvage dans des contextes difficiles souvent excluant le développement d’un écotourisme haut de gamme. Les prix des safaris et les niveaux élevés de taxation associés à la faiblesse des prélèvements, font que la chasse a un rapport bénéfice économique / coût écologique très intéressant et peut permettre des actions de conservation de la faune et de la flore non négligeables. Tout ceci dans des contextes, où les projets d’écotourisme communautaires ou solidaires (caractérisés par la pratique du tourisme de vision et de découverte de la culture locale) connaissent dans la majorité des cas des retombées économiques plus que relatives. Par exemple, en République Centrafricaine, un céphalophe bleu, espèce commune prélevée par les chasseurs sportifs étrangers coûte environ 60 000 FCFA ou 90 euros « de taxe d’abattage », soit un prix 30 fois plus élevé que s’il est prélevé par un chasseur local. Par ailleurs, c’est au nord de la république centrafricaine que la gestion communautaire de l’espace de la zone cynégétique est la plus aboutie(7). En effet, là-bas, les ZCV (zone cynégétique villageoise) s’avèrent être parmi l’un des rares exemples dans lequel les populations ont réussi à garder la main mise sur le projet. Dans ce modèle, les recettes des ZCV proviennent des taxes d’abattage et taxes d’utilisation du territoire, ainsi que de la commercialisation de la viande. Depuis la création de la première ZCV en 1992, les recettes n’ont cessé de grimper, pour atteindre en 2009 plus de 150 000 euros. Toutefois, ce qui différencie la ZCV des autres modèles de zonage de tourisme cynégétique est que l’argent des différentes taxes est versé par le guide de chasse directement sur le compte de la ZCV.

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Les paiements s’effectuent selon un échéancier qui oblige le guide de chasse à payer au moins 50% des quotas qu’il a demandé avant la fin de la saison de chasse. Le reliquat étant payé en fin de saison de chasse. Ce procédé oblige d’une part à ce que le guide se professionnalise, et d’autre part à assurer un volume de clientèles minimum. Cela permet aussi, d’éviter les demandes de quota excessif et d’autres dérives. Une fois les taxes versées sur le compte des ZCV, les ALGEST ZCV (association locale de gestion des ZCV) reversent la part due aux communes et au CASDF (fonds forestier de l’Etat). Une fois réparties, près de 80% des recettes de l’année 2009 sont revenu aux ZCV. A noter que dans le même temps, la part des recettes liée à la gestion de la faune destinée à la communauté est de 20% maximum au Cameroun, 30% des recettes des zones cynégétiques à la Pendjari, 30% des recettes du Parc W et de sa zone cynégétique au Bénin, 40% des recettes du Parc W destinées aux communes et villages au Niger.

Selon nous, le tourisme cynégétique doit avoir comme principal souci de mieux s’intégrer dans le contexte actuel des communautés locales. Dans le cas de la zone cynégétique de Djona, le touriste chasseur est complètement déconnecté du reste de la localité. En cela, un nouveau programme de gestion des zones cynégétiques permettant aux habitants de venir périodiquement (hors période de chasse) venir récolter et chasser les denrées dont ils ont besoin est nécessaire. En termes de produits touristiques, des échanges (sous forme d’ateliers) entre les chasseurs locaux et étrangers pourraient être organisés dans le but, notamment, d’intégrer le touriste chasseur dans un environnement humain et de renforcer les liens entre la localité et l’activité touristique. En informant le chasseur sur les réalités locales sous couvert de la thématique de la chasse, nous encouragerons ces derniers à veiller à ce que les retombées économiques sur la localité soient effectives. Nous pourrions peut être même envisager un système de versement des taxes (normalement redistribuées par les autorités locales) du touriste aux locaux afin d’éviter les problèmes de corruption.

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(1) Plus communément appelé  « empowerment »,  l’autonomisation signifie le transfert des connaissances visant à développer un potentiel jusqu’à présent caché ou ignoré chez un individu ou groupe d’individus ». Dans  ce cadre, l’empowerment est censé permettre aux communautés d’être partie prenante dans les modalités de gestion de leur territoire.

(2) Le CENAGREF est un Office d’Etat à caractère social, scientifique et culturel, doté d’une personnalité morale et d’une autonomie administrative et financière. Il a pour mission la conservation et la gestion des Aires Protégées définies comme l’ensemble des réserves naturelles intégrales, des Parcs nationaux, des réserves de faune, des réserves spéciales ou sanctuaires des zones cynégétiques et de leurs zones tampon, existantes ou à créer en République du Bénin.
(3) Michaud Maxime, « qui mange l’antilope ? « production distribution et consommation de la viande de brousse issue  du tourisme cynégétique dans le Nord du Bénin », Carnet de bord n°15, 2008
(4) MALATERRE Benjamin, mémoire de fin d’études : « Acter le développement des pays du Sud par l’écotourisme, l’exemple de la région du parc W, Nord-est Bénin » IREST Panthéon Sorbonne, 2013
(5) MALATERRE Benjamin, mémoire de fin d’études : « Acter le développement des pays du Sud par l’écotourisme, l’exemple de la région du parc W, Nord-est Bénin», IREST Panthéon Sorbonne, 2013
(6) Pierre-Armand Roulet, « La gestion communautaire de la faune sauvage comme facteur de reconsidération de la privatisation et de la marchandisation des ressources naturelles ? Le cas du tourisme cynégétique en Afrique sub-saharienne », 2007
(7) Philippe Bouché, André X Bache, Moussa Yakata , Antoine Chenda, Roland Nzapa Beti Mangue, Florent Zowoya, « Les zones cynégétiques villageoises du nord de la république Centrafrique, 15 ans déjà ! », 2007
<(8) Taxe de 750 FCFA/km²
(9) Frais d’utilisation justifié par les infrastructures réalisées par les ZCV au profit du guide. Ils se basent sur 45% de la valeur des taxes d’abattage pour les espèces dites « phares » demandés par les guides de chasse sur ZCV.
(10) Les montants fixés par espèce et définis par la loi de même que les montants des permis de chasse, les taux de redevances et les taxes cynégétiques.